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Le châtelain sortit sans se dérober,
Et Bertrand commanda qu’on cesse de se battre
Tant qu’il n’aurait pas exposé au châtelain ce qu’il veut ;
Et on lui accorda que nul ne l’empêche de passer.
« Châtelain, dit Bertrand, beau sire, je vous prie
De rendre ce château avant que je vous occise ;
Car Dieu m’en est témoin, ainsi que Sainte Marie,
Si c’est par force que je vous prends, vous et votre maisonnée
Il n’y aura personne qui n’ait la teste tranchée.
Tous vous mourrez tantôt, je vous le signifie,
Hormis femmes et enfants, prêtres et clergé.
Echapper est impossible, votre mort est une affaire entendue. »
Le châtelain lui dit : « Sire, j’accepte que
Par un tel accord, j’aie la vie sauve. «
Bientôt ils tombèrent d’accord, à ce que dit l’histoire…
Mais les braves bourgeois, toute une compagnie,
Sont venus à Bertrand, l’air décidé :
« Sire, disent ces bourgeois, tout Guingamp vous prie
Que ce soi-disant châtelain, coupable de tant de tricherie,
Meure de male mort pour expier ses méfaits ;
Il nous a fait tant de torts. Tout le monde vous le dira :
De tant de maisons il nous a chassés vers l’exil,
Ravi tant de bœufs et moutons, mangé tant de brebis ;
A l’un il a coupé le pied, à l’autre tranché la tête.
On ne leur permet pas de lui faire la moitié
De ce qu’il a mérité en l’occurrence. »
« Seigneur, lui dit Bertrand, j’ai résolu de lui accorder
Qu’il n’ait point à craindre la mort ; telle est notre convention :
Car c’est un soldat plein d’un grand courage.
Il serait dommage, par Dieu, qu’une figure si hardie,
Meure de façon aussi piteuse et à qu’on n’en porte pas le deuil. »
Quand le châtelain eut entendu ces paroles,
C’est de bon cœur, dès lors, qu'il se fia à leur parole.
Et Bertrand demanda fort poliment :
« Châtelain, tenez-vous cette terre et cette seigneurie
Du comte de Monfort ou de ses barons ? »
—-« Nenni, sire, dit-il, je n’en tiens pas même un champ d’ail. »
-— « Vassaux, dit Bertrand, je vous certifie
Que je vous rends votre terre, et je m’engage,
A ce que plus ne soyez dépossédés d’une terre qui est la vôtre.
Des terres je vous en donnerai assez, je vous le promets. »
Le châtelain dit alors : Par la Vierge sainte,
Jamais contre vous mon épée ne sera dégainée,
Dorénavant, c’est pour vous servir que mon épée sera fourbie ;
Tant que vous vivrez et que j’aurai la vie. »
A ces mots il remit les clefs à sa disposition,
Et Bertrand entra, suivi de ses barons.
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Li chastelains s’en vint, qui point ne se détrie,
Et Bertran commanda c’en cesse l’escremie
Tant qu’ait au chastelain sa voleuté géhie;
Et en li accorda, que nulz ne li détrie.
«Chastelain, dit Bertran, beaux sires, je vous prie
Que le chastel rendez ains que je vous ocie;
Car j’ai Dieu en couvent et à sainte Marie,
Se par force vous preu et toute vo maisnie
Qu’il n’i ara celui n’aist la teste tranchie :
Tuit y morrez tantost, je le vous signifie,
Fers fumes et enfans, prestres et la clergie :
Eschaper n’en poez, vostre mort est jugie. »
Et dit li chastelains: « Sire, je m’i otrie,
Par itel convenant ce soit sauve ma vie.
Tantost fussent d’acert, si con l’istoire crie;
Mais li gentilz bourjois, tout d’une compaignie,
Sont venu à Bertrant, qui la chière et hardie:
« Sire, font li bourjoiz, toute Guingam vous prie
Que cilz faulz chastelains, où tant a tricherie,
Soit mort de male mort à grande vilenie;
Car tant nous a grevé, n’est nulz qui le vous die:
Tante maison nous a li envers essillie,
Baviz buefs et moutons, mainte brebis mengie;
A l’un coppé le pié ou la teste et trenchie.
On ne leur permit pas faire de la moitie
Ce qu’il ont déservi en ycelle partie.»
—« Seigneur, ce dist Bertran, ma velenté s’otrie
Qu’il n’ait garde de mort; telle est nostre estudie:
Car c’est .1. homme d’armes plain de grant courtoisie.
Pitié seroit, par Dieu! d’une char si hardie,
Fu morte si vilment et à dueil essillie. »
Et quant li chastelains a la parole oie,
Volentiers Ior éust leur parole mérie.
Et Bertran li a dit par bonne compaignie:
« Chastelain, tenez-vous terre ne seignorie
Du conte de Monfort ne de sa baronnie? »
—-« Nennil, sire, dit—il; je n’en tien une aillie. »
-— « Vassaux, ce dit Bertran, et je vous certefie
Que vous tenrrez de moi, et mon corps vous em prie,
Et que plus ne soiez de la vostre partie.
De terre vous donray assez, je vous afie. »
Et dit li chastelains : " Par la Vierge saintie,
Jamais encontre vous n’ert m’espée sachie,
Ainçois vous servirai à l’espée fourbie;
Tant que vous viverez et que j’aie la vie. "
Lors li rendi les clefs et mist en sa baillie,
Et Bertran entra eus, o lui sa baronnie.
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