AN HINI A GARAN

Celui que j'aime

ton

Kempennet gant Aotrou Rojer Abjan (1925-2009)


"Bretonez" gant Paul Gauguin

1. N'ez-eus ket gwerzioù bras, o tonet a bell bro
E-tal ur feunteun kloar, en ur c'hoadig distro
Me glevas ur vouezh vrav, ur vouezh melkonius
O kanañ ur ganenn, ur ganenn truezus.

2. Me glevas ur plac'hig o kanañ hirvoudus
Kanennig he c'halon, ur c'han karanteus:
Ha war ur bod freskon evnig an Aotrou Doue
D'ar plac'hig glac'haret d'e dro a ziskane.

3. An hini a garan, gwechall bihan er gêr
Pa oamp tostig an eil, an eil doc'h egile
Va c'halon ne gare, gare nemet unan
Pa oan bihan er gêr an hini a garan

4. An hini a garan, gwezharall va c'hare,
Kanañ 'rae pa ganen, pa ouelen a ouele.
Hon div galon ne raent, ne raent nemet unan,
Pa oan bihan er gêr an hini a garan

5. An hini a garan, bremañ 'n eus va laosket
Aet eo d'ar broioù pell, d'ur vro n'anavan ket
Aet eo d'ar broioù pell da c'hounit tud d'an Neñv (*)
Kollet, kollet eo din an hini a garan!

6. D'an hini a garan ne ran med hirvoudiñ
Penaos ken pell doc'htañ e c'hellin-me beviñ?
Med petra laran-me? -Trelubaniñ a ran
Dre hir-soñjal atav en hini a garan.

7. D'an hini a garan, mar kollan-me va fenn,
Evnedigoù ar c'hoad, kanit-c'hwi ho kanenn!
Evned, kanit er c'hoad, kanit kenti-kentañ,
Karantez, karantez d'an hini a garan!

8. D'an hini a garan, ne ran 'med huanadiñ
Huanadiñ noz ha deiz, deiz ha noz hirvoudiñ
Rag-sen eo 'm eus savet ha rag-sen e kanañ
Kanennig va c'halon d'an hini a garan.


1. Récemment revenant d'un voyage lointain
Près d'une source fraîche à l'écart du chemin
J'entendis une voix mélancolique et belle
Pleurer dans son chant une destinée cruelle.

2. C'était une jeune fille au chant gémissant
Un chant qui d'un coeur épris allait s'épanchant:
Dans un buisson de houx l'oiselet du bon Dieu
Donnait la réplique à cet air triste et malheureux.

3. Celui que j'aime et moi, jadis nous habitions
L'un de l'autre si près, si proches nous étions.
Mon coeur battait pour lui et pour lui seulement.
Enfant, j'aimais déjà celui que j'aime à présent.

4. Celui que j'aime, alors, il m'aimait en retour.
Et lorsque je chantais, il chantait à son tour,
Pleurait quand je pleurais. Nos coeurs n'en faisaient qu'un,
Celui que j'aime et moi, quand nous étions gamins.

5. Celui que j'aime, hélas, à jamais est perdu,
Parti pour des pays qui me sont inconnus.
Parti pour acquérir des âmes pour le Ciel: (*)
Je perds celui que j'aime, ah, quel échange cruel!

6. Celui que j'aime, si je pousse ces soupirs,
C'est que je ne puis vivre hors de son souvenir,
Son souvenir m'obsède. Il n'est pas un instant
Où celui que j'aime, en mon coeur ne soit présent.

7. Celui que j'aime, si s'égarait mon esprit,
Oiseaux des bois, voleriez-vous jusques à lui?
Oiseaux des bois, chanteriez-vous à qui mieux-mieux,
A celui que j'aime l'amour d'un coeur malheureux?

8. Celui que j'aime, à qui vont tant d'ardents soupirs,
Si bien que, jour et nuit, je ne fais que gémir,
C'est lui qui m'inspira ce lamentable chant:
Si je le chante, c'est pour celui que j'aime tant.

Traduction: Ch. Souchon (2015)

NOTE

(*) Comme dans Geneviève de Rustéfan, cette complainte vannetaise (M-01529) met en scène
un couple séparé par la vocation religieuse (spontanée ou imposée par la famille)
du jeune homme. Il semble que ce poème ait été publié pour la 1ère fois dans la r'vue "Dihunamb 1905-1914" en1908, N°3[33], p. 363-38, avec l'indication "Golvañnig" ("Petit Moineau"). Il s'agit sans doute de l'auteur du poème qui est l'oeuvre d'un lettré, peut-être un ecclésiastique et non du compositeur de la belle mélodie.
La "variété celtique" s'en est emparée et l'a adaptée aux problèmes
socio-économiques modernes. Elle saute systématiquement les deux premières strophes. Le missionnaire est devenu un travailleur exilé loin
de sa Bretagne natale. La fin du 3ème vers de la 3ème strophe, "da c'hounit tud
d'an Neñv" (pour gagner des âmes pour le Ciel) est devenue "da c'hounit e vara"
(pour gagner son pain), avec la variante "da c'hounit he bara" pour permettre aux
dames de récolter leur part de cette manne.




* Taolenn*