TRISTESSE DE JEUNE FILLE

Chant LXXX, p.385 (ed.1865) -

Equivalent breton: chants M00731



Mélodie inconnue remplacée par "Ne pleure pas, Jeannette" [3]

Chant collecté par de PUYMAIGRE [1],
"Chants populaires recueillis dans le Pays Messin",
1865, pp. 385-385, chant LXXX)

1. Lorsque j'étais fillette.
Je m' disais tous les jours:
Hélas! mon tour [...]
Il viendra bien un jour.
Me voilà grande fille,
[...]
Mais à quinze ans, personne!
Jamais je n' l'aurais cru.

2. Ma mère qui me chagrine,
Loin de me consoler,
Voudrait que je sois femme
Avant d'être mariée,
Mais moi je la regarde
Les larmes dans les yeux;
Peut-on se marier
Sans avoir d'amoureux?

3. J'ai z'une belle robe
Aussi de beaux jupons.
Je me coiffe à la mode
Avec des bonnets ronds.
J'ai une belle chaussure,
Je sais rire et danser,
Et malgré ma parure
Je reste à marier.

4. Quand je vois mes compagnes
Ah que j'ai du chagrin
S'en aller à la danse
Avec leurs bons-amis,
Et moi dedans ma chambre
Seule j'attends mon tour;
Jeune fille malade
Et gémissant d'amour.

5. Ah! vraiment, si je meurs [e]
Sans être mariée
, Je veux que sur ma tombe
Soit en lettres gravé:
Une fillette est morte
A la longueur du temps,
Est morte fille et sage
A défaut d'un amant. [2] [4] [5]
1. When but a little lassie
I was, I used to say:
I'm confident that my turn
Is sure to come some day.
But now I am a big lass,
[It goes the same old way]
Aged fifteen and no suitor:
So strange a thing to say!

2. My mum brings me no comfort,
But she just saddens me
She wishes I'd get mature
Before.I would marry
I can't help looking at her
With sour tears in my eyes;
Pray, how could I get married,
No lover if I have?

3. A pretty dress I've gotten
And petticoats so fair.
And with a fine round headdress.
I do adorn my hair
And I wear pretty shoes,
And I can laugh and dance:
Despite all my endeavours
Of getting wed no chance!.

4. I feel so sorry, sorry
When I see other girls
Who go away to dances
Each with her own boy friend,
In my room I am staying
Still waiting for my turn;
I was left craving for love.
A moaning girl, alone

5. For sure, without being married,
Away if I should pass
I want these words on my tomb
To be engraved, alas:
Here rests a young girl who died
Of a strange restless itch:
A maid who lacked a lover.
Though in love she was rich.


FIOR DI TOMBA

Fleur de tombeau

"Canti Popolari del Piemonte" de Costantino NIGRA [1]

Pp. 129-139, chant N°19

1. Di là da cui boscage
Na bela fia a j'é
So pare e sua mare
La vôlo maridè
A vôlo dèila un prinsi
Fiôl d'imperadur

2. - Mi vôi nè re nè prinsi
Fiôl d'imperadur.
Déi-me cul giuvinoto
Ch'a j'è 'n cula përzun
- O fia dla mia filia,
L'è pa'n parti da ti:
Duman a ùndes ure
A lo faran müri.

3. - S'a fan müri cul giuvo,
Ch' a m' fasso müri mi!
Ch'am fasso fè na tumba
Ch'a i sia d'post per tri
C'ha i stago pare e mare
'l m'amür an brass a mi

4. An sim' a cula tumba
Piantran dle röze e flur
Tüta la gent c'ha-i passa
A sentiran l'odur;
Diran: - J'è mort la bela
L'è morta për l'amur! - [2] [4] [5]

Collina di Torino
Cantata da contadine
1. Par delà le bocage
L'est une belle fille
Et son père et sa mère
La veulent marier
La donner à un prince
A un fils d'empereur

2. - Ne veux ni roi, ni prince
Ni d'un fils d'empereur.
Donnez-moi ce jeune homme
Qu'on a mis en prison
- Ma fille, ce jeune homme,
N'est point un bon parti:
Demain vers les onze heures
Ils le feront mourir.

3. - S'ils font mourir cet homme,
Que je meure aussi, moi!
Qu'on me fasse une tombe
Assez grande pour trois
Pour mon père et ma mère,
Et pour l'homme en mes bras.

4. Au sommet de la tombe
Piantez des rose(s) en fleurs
Pour que les gens qui passent
En respirent l'odeur;
Disant: - Ci-gît la belle
Qui mourut par amour! -

Collina di Torino
Chanté par un paysan
1. There lives a pretty maiden,
Down there beyond the wood;
Her father and her mother,
To make her marriage good,
Would give her to a high prince,
An emperor's son and heir.

2. - I want no king, want no prince,
Nor emperor's son and heir;
Give me the gallant youth, please,
Who's in the prison there."
- O daughter, O my daughter!
You cannot be his wife;
Tomorrow at eleven
They'll surely take his life.-

3. - O if they kill that young man,
As well, let them kill me!
A large grave be made for us ,
A grave with places three,
Two for my dad and mother
But one for him and me.

4. At the grave's head they shall plant
A blossoming rose tree.
The people who will pass by,
The roses they will smell;
They'll say : - The beauty here died,
Because she loved too well. -

Collina di Torino
Sung by a farmer


NOTES

[1] Dans l'"argument" qui précède le chant "Les Miroirs d'argent" dans la 3ème refonte du Barzhaz Breizh, celle de 1867, La Villemarqué se réfère à 2 auteurs, le Français Théodore Boudet de Puymaigre (1816-1901) et l'Italien Costantino Nigra (1826-1907).
Le premier avait publié en 1865 un recueil, "Chants populaires recueillis dans le pays messin" contenant le 1er chant ci-dessus, appelé "La Jeune Fille" dans le Barzhaz.
Le second avait certainement publié dès avant 1867 des passages de son important ouvrage "Canti popolari del Piemonte" (Chants populaires du Piémont), paru en 1882. La Villemarqué cite un chant de ce recueil, apparanté à ses "Miroirs d'argent", sous le titre "La jeune Piémontaise" qui deviendra en 1882, "Fior di tomba" comme ci-dessus.
Le Barzhaz de 1867 mentionne encore deux chants: la "Pernette de Lyon" (cf Les miroirs d'argent du Barzhaz Breizh) et son équivalent provençal "La Fanfarneto" sans préciser chez quels auteurs il les a trouvés.
Décidément très assagi, La Villemarquéne prétend pas que le chant breton soit la source des autres chants, mais se contente de déclarer que "la peite Bretonne...a plu d'avantage".

[2] Pour prendre la pleine mesure de la popularité du thème de la jeune fille morte d'amour inassouvi, il a manqué à l'auteur du Barzhaz de connaître les travaux de Georges Doncieux (1856-1903) qui consacra à la "Pernette" une monographie parue en 1891, avant qu'elle ne constitue le 1er chapitre de son ouvrage posthume, le "Romancero populaire de la France", paru en 1904 grâce aux soins de son ami Julien Tiersot.
Après avoir étudié 70 versions rencontrées dans des pays de langues latines, Doncieux a trouvé l'original de cette complainte dans le nord du Forez (Haute-Loire) et l'a daté d'entre l'invention du rouet (vers 1393), mentionné au début du poème et sa plus ancienne rédaction manuscrite (15ème s.). A partir des assonnances relevées dans les versions collectées, Doncieux a reconstitué une "version critique" original dont dérivent les autres.

[3] Julien Thiersot a, quant à lui, dénombré pas moins de 25 mélodies différentes dont l'une figure dans un opéra comique de 1762 ("Annette et Lubin", de Mme Favart) et l'autre dans un "Recueil de romances historiques par M.D.L. " de 1767. Celle publiée dans le "Romancero", p. 475, est propre au Dauphiné. Elle diffère légèrement de celle recueillie par Vincent d'Indy (1851-1931, cf Les miroirs d'argent du Barzhaz Breizh)

[4] Le rapprochement de la version "Pernette" avec la version piémontaise est à l'avantage de la première: on y voit l'héroïne penchée sur son rouet aux aurores. Elle est découragée en dépit de la promesse de sa mère de lui trouver un époux de haut rang. La raison de cette attitude a un nom: il s'agit de son ami Pierre et non pas d'un personnage anomyme comme dans la variante du Piémont qui ne nomme pas non plus la jeune fille du bocage, ce qui rend le récit moins vivant.
La menace proférée par la mère de pendre Pierre pour punir l'obstination de sa fille et plus dramatique que la simple annonce d'un verdict déjà rendu.
Enfin la complainte française culmine avec l'image des deux amoureux enterrés sur le chemin de Compostelle. Il s'agit du "Chemin de Lyon" qui à partir de Saint-Romain-Le-Puy traverse le Forez pour rejoindre au Puy-en-Velais la "Via Podiensis", la "Route du Puy", l'une des 4 grandes routes du pèlerinage. Pierre couvert de roses et Pernette couverte de millefleurs sont autrement pathétiques que le caveaux de famille italien. Encore que ces trois places pour quatre, les deux amants enlacés n' en occupant qu'une seule soit une trouvaille si originale qu'elle n'est omise par aucune des versions piémontaises et vénitiennes.

[5] Dans notre ouvrage "Cannibales, tombeaux et pendus", nous avons rapproché "Pernette" et les "Miroirs d'argent" d'autres complaintes: bretonnes "La mort du clerc" (Penguern), "La jeune fille chagrinée -1" (Guilherm, Troboas ), "La jeune fille chagrinée - 2" (Guillerm, Laz), etc.
Comme Doncieux le souligne, dans beaucoup de ces chants bretons, (en particulier dans les "Miroirs" du Barzhaz), la jeune fille est "amoureuse de l'amour" et le barde breton a dû, par quelques retouches, appliquer à une personne unique ce que son modèle disait d'un couple.
A juste titre, Doncieux remarque que l'intrigue de Pernette - dont on ignore tous les détails - s'efface devant l'image finale de cette jonchée de fleurs où des pèlerins s'arrêtent pour en prélever une et dire une prière.
Nous avons également évoqué à ce sujet d'anciennes complaintes françaises: "La belle Amelot" (dont il est dit, dans cette chanson optimiste, qu'elle finit par avoir,"Garin son ami"); "La belle se sied" et "La fille du roi" (dont l'ami s'appelle Pierre) qui toutes deux veulent être enterrées sous la potence pour que leur constance exemplaire inspire la foule des passants. Il s'agit de "romances" et "chansons de toile", un genre qui fleurit au 12ème siècle en France et qui a pu inspirer le poète paysan, auteur de "Pernette".
Il nous a semblé que la nouveauté introduite par la Pernette, à savoir le souhait de l'héroïne d'être enterrée avec Pierre "au bord du chemin de Saint-Jacques", était inspirée par un autre chant, languedocien celui-ci, "Lou Bouié", "Le Bouvier". Cette dernière référence introduit l'idée générale de tombe atypique destinée à expier une mort atypique.
[1] In the "argument" which precedes the song "Les Miroirs d'argent" in the 3rd revision of the Barzhaz Breizh, that of 1867, La Villemarqué refers to 2 authors, the Frenchman Théodore Boudet de Puymaigre (1816-1901) and the Italian Costantino Nigra (1826-1907).
The first had published in 1865 a collection, "Popular songs collected in the Metz country" containing the 1st song above, called "La Jeune Fille" in the Barzhaz.
The second had certainly contributed to reviews before 1867 passages from his important work "Canti popolari del Piemonte" (Popular Songs of Piedmont), published in 1882. La Villemarqué cites a song from this collection, related to his "Silver Mirrors", under the title "The young Piedmontese girl" which was to become in 1882, "Fior di tomba" as above.
The Barzhaz of 1867 mentions two more songs: "Pernette de Lyon" (cf The Silver Mirrors of the Barzhaz Breizh) and its Provençal equivalent "La Fanfarneto " without specifying in which authors' book he found them.
Astonishingly cautious, La Villemarqué does not claim that the Breton song is the source of the other songs, but is content to declare that "the little Breton girl...is the most charming of all".

[2] To fully realize how popular was the theme of the young girl who died of unfulfilled love, the author of Barzhaz failed to know the work of Georges Doncieux (1856-1903 ) who devoted to the "Pernette" song a monograph published in 1891, before it was included as the first chapter in his posthumous work, the "Popular Romancero of France", published in 1904 thanks to the care of his friend Julien Tiersot.< br> After studying 70 versions encountered in Latin-speaking countries, Doncieux found the original of this lament in the northern Forez mounts (Haute-Loire) and dated it between the invention of the spinning wheel (around 1393), mentioned at the beginning of the poem and its earliest hand written record (15th century). From the assonances extent in the collected versions, Doncieux has reconstituted an original "critical version" from which the others derive.

[3] Julien Thiersot has, for his part, counted no less than 25 different melodies, one of which appears in a comic opera of 1762 ("Annette et Lubin", by Mme Favart) and the other in a "Collection of historical romances by M.D.L. " of 1767. The tune published in the "Romancero", p. 475, is specific to the Dauphiné. It differs slightly from that collected by Vincent d'Indy (1851-1931, cf The silver mirrors of Barzhaz Breizh)

[4] Paralleling the "Pernette" version with the Piedmontese version is to the advantage of the first: we see the heroine leaning on her spinning wheel at dawn. She is discouraged despite her mother's promise to find her a high-ranking husband. The reason for this attitude has a name: that of her own sweetheart Pierre who is not an unnamed character as in the Piedmont variant - where the maiden beyond the wood has no name either - , which makes the story far more lively .
The mother's threat to hang Pierre to punish her daughter's stubbornness is more dramatic than the simple announcement of a verdict already rendered.
Finally the French lament culminates with the image of the two lovers buried on the pilgrim's road to Compostela. This is the "Chemin de Lyon" which from Saint-Romain-Le-Puy crosses the Forez mounts to connect at Puy-en-Velais with the "Via Podiensis", the "Route du Puy", one of the 4 major pilgrimage routes. Pierre covered with red roses and Pernette with white guelder-roses are more pathetic than the Italian family grave. However the three places for four people, the two lovers, merged to one entity, occupying only one place, are considered such an original feature that it is left out in none of the Piedmontese and Venetian versions.

[5] In our book "Cannibals, Tombs and Hanged people", we have compared "Pernette" and the "Silver mirrors" to other Breton laments: "The Clerk's death" (Penguern), The Sorrowful Maiden -1" (Guilherm, Troboas ), "The Sorrowful Maiden - 2" (Guillerm, Laz), etc.
As Doncieux points out, in many of these Breton songs (in particular in the "Mirrors" of the Barzhaz), the young girl is "in love with love" and the Breton bard, by some alterations, had to apply to one person what his model said of a couple.
With good reason, Doncieux remarks that the plot of Pernette - all the details of which are unknown - fades away before the final image of this strewn with flowers where pilgrims stop to pick one and say a prayer.
We also evoked old French laments on this subject: "La belle Amelot" (in this optimistic variant, Amelot ends up marrying "Garin, her ami"); "La Belle se sied" and "La Fille du roi" (whose friend is called Pierre) who both want to be buried under the gallows so that their exemplary constancy inspires the crowd of passers-by. These are "romances" and "canvas songs", a genre which flourished in the 12th century in France and which may have inspired the peasant poet, author of "Pernette".
It seemed to us that the novelty introduced by Pernette, namely the heroine's wish to be buried with Pierre "on the the pilgrims' road to Saint-Jacques", was inspired by another song from Languedoc, < b>"Lou Bouié", "The Ploughman". This last reference introduces the general idea of an atypical tomb devised to atone for an atypical death.


Les Miroirs d'argent sont l'un
des chants de "tombeaux indignes"
étudiés dans
CANNIBALES, TOMBEAUX ET PENDUS
un essai au format
LIVRE DE POCHE



de Christian Souchon

"Silver Mirrors"is one of the
"indecorous grave songs"
presented, in French, in
CANNIBALES, TOMBEAUX ET PENDUS
(Cannibals, graves and gallows)
as a PAPERBACK BOOK



by Christian Souchon


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"Ne pleure pas, Jeannette" par les "Compagnons de la chanson" et les "Petits chanteurs à la croix de bois" (extrait)
"Jeannette" est une version de "Pernette" très connue en France
à laquelle manque le finale (la tombe fleurie);

Les miroirs d'argent (Barzhaz Breizh)