Les deux oncles

The two uncles

Georges Brassens (1964)

1. C’était l’oncle Martin, c’était l’oncle Gaston (1) L’un aimait les Tommies, l’autre aimait les Teutons (2) Chacun, pour ses amis, tous les deux ils sont morts Moi, qui n’aimais personne, eh bien ! je vis encor 2. Maintenant, chers tontons, que les temps ont coulé Que vos veuves de guerre ont enfin convolé Que l’on a requinqué, dans le ciel de Verdun Les étoiles ternies du maréchal Pétain (3) 3. Maintenant que vos controverses se sont tues Qu’on s’est bien partagé les cordes des pendus Maintenant que John Bull nous boude, maintenant Que c’en est fini des querelles d’Allemand 4. Que vos fill’s et vos fils vont, la main dans la main Faire l’amour ensemble et l’Europ’ de demain Qu’ils se soucient de vos batailles presque autant Que l’on se souciait des guerres de Cent Ans 5. On peut vous l’avouer, maintenant, chers tontons Vous l’ami les Tommies, vous l’ami des Teutons Que, de vos vérités, vos contrevérités Tout le monde s’en fiche à l’unanimité 6. De vos épurations, vos collaborations Vos abominations et vos désolations De vos plats de choucroute et vos tasses de thé Tout le monde s’en fiche à l’unanimité 7. En dépit de ces souvenirs qu’on commémor’ Des flammes qu’on ranime aux monuments aux Morts Des vainqueurs, des vaincus, des autres et de vous Révérence parler, tout le monde s’en fout 8. La vie, comme dit l’autre, a repris tous ses droits Elles ne font plus beaucoup d’ombre, vos deux croix Et, petit à petit, vous voilà devenus L’Arc de Triomphe en moins, des soldats inconnus 9. Maintenant, j’en suis sûr, chers malheureux tontons Vous, l’ami des Tommies, vous, l’ami des Teutons Si vous aviez vécu, si vous étiez ici C’est vous qui chanteriez la chanson que voici 10. Chanteriez, en trinquant ensemble à vos santés Qu’il est fou de perdre la vie pour des idées Des idées comme ça, qui viennent et qui font Trois petits tours, trois petits morts, et puis s’en vont 11. Qu’aucune idée sur terre n'est digne d’un trépas Qu’il faut laisser ce rôle à ceux qui n’en ont pas Que prendre, sur-le-champ, l’ennemi comme il vient C’est de la bouillie pour les chats et pour les chiens 12. Qu’au lieu de mettre en joue quelque vague ennemi Mieux vaut attendre un peu qu’on le change en ami Mieux vaut tourner sept fois sa crosse dans la main Mieux vaut toujours remettre une salve à demain 13. Que les seuls généraux qu’on doit suivre aux talons Ce sont les généraux des p’tits soldats de plomb Ainsi, chanteriez-vous tous les deux en suivant Malbrough qui va-t-en guerre au pays des enfants 14. O vous, qui prenez aujourd’hui la clé des cieux Vous, les heureux coquins qui, ce soir, verrez Dieu Quand vous rencontrerez mes deux oncles, là-bas Offrez-leur de ma part ces « Ne m’oubliez pas » 15. Ces deux myosotis fleuris dans mon jardin Un p’tit forget me not pour mon oncle Martin Un p’tit vergiss mein nicht pour mon oncle Gaston Pauvre ami des Tommies, pauvre ami des Teutons… (4)

1. There was uncle Martin, there was uncle Gaston, (1) One loved the Tommies, the other the Teutons. (2) Each of them loved his friends, and both of them they died But I who love no one, well, I am still alive. 2. My two dear uncles, now that time has passed by That both your war widows fresh nuptial knots did tie That the somewhat tarnished stars of Marshal Pétain (3) Have been polished up in the sky of Verdun. 3. That of your old angers subsided the last bout, That all hangmen’s halters are duly shared out That we are no more on speaking terms with John Bull , That the cup of German feuds is void, once so full, 4. That your daughters and our sons now go, hand in hand, Making love and Europe, common tomorrow’s land, That they care for your dear battles almost as much As for the Punic War, Hundred Years War and such 5. We can tell you a thing that we did not mention You, friend of the Tommies, you, friend of the Teutons, That about your hallowed truths, and your counter-truths, No one gives a damn: in that we’re unanimous. 6. Your purifications, your collaborations, Your abominations and your desolations, Your dishes of sauerkraut and your cups of tea, No one will care for them, and unanimously. 7. Despite these memories, and all your great moments, For the flames that are kindled at war monuments, The victorious, the defeated, the rest… and you, For them nobody cares any more: all say “boo!” 8. Life, as the saying goes, has taken back its rights. Your two crosses don’t cast large shadows in the light And you have become both of you gradually Without an Arch, soldiers unknown to your country. 9. I am sure of a thing that I did not mention You, friend of the Tommies, you friend of the Teutons, If you had survived, were here, for sure I know That you would sing a song, with lyrics as below: 10. You would sing -and drink each other’s health- that it is So foolish to lose one’s life for mere ideas, Just ideas, that come one day and make a show Of dancing and killing around, before they go, 11. That no idea on earth deserves you’d die for it, That you should leave it to those deprived of spirit, You should not hate blindly those on the other side On the battlefield, if you should take life in stride. 12. Instead of aiming your gun at an enemy You’d better wait till they order you friends to be. Carve the butt of your gun before you let it fall! Postpone till tomorrow a gun shot, above all! 13. The only generals worth following blindly Are those of the small tin soldiers, oh believe me! This is what both of you would sing while following Marlborough who goes to war in the land of children 14. You, who today take to the heavenly country You the good thieves who will see God tonight surely Should you bump into my two uncles, don’t omit To give them these «Ne m'oubliez pas», please do it: 15. These two myosotis blossoms from my garden: A small forget-me-not for my uncle Martin, A small Vergissmeinnicht for my uncle Gaston, Late friend of the Tommies, late friend of the Teutons… (4) Transl. Christian Souchon (c) 2018

NOTES
(1) La mélodie: rythme à 4 temps articulé sur 4 accords (Do, Ré, Mi mineur, La 7ème) qui accompagne 60 alexandrins, de rimes masculines suivies, divisés en 15 quatrains. Le tout prolongé par 4 mesures répétées ad libitum en diminuant qui évoquent l'hymne espagnol "Marcha Real", (ou l'hymne franquiste "Viva España")... A moins que ce ne soit la chanson "Pan, qu'est-ce qui est là? C'est Polichinelle, Mamselle"!

(2) La 2ème guerre mondiale selon Brassens: 2 oncles aux convictions opposées, un pétainiste (l'ami des Teutons) et un résistant (l'ami des Tommies, surnom des soldats britanniques) qu'un neveu, plus ou moins anarchiste, invite à une réconciliation post mortem, persuadé de se faire le porte-parole de l'immense majorité de l'opinion publique française de 1964, plus appliquée à construire l'Europe,alors réduite aux 6 pays de la CEE qu'à ressasser les querelles.d'antan. A l'époque, De Gaulle fermait la porte de l'Europe à la Grande-Bretagne, "cheval de Troie des Américains", tandis qu'il recherchait le rapprochement de la France et de l'Allemagne.
Notons que les ressentiments n'étaient pas entièrement éteints et cette chanson valut à Brassens des déchaînements d'hostilité qu'il évoquera 8 ans plus tard dans Mourons pour des idées.

(3) Les étoiles du Maréchal Pétain: Sur son képi, son bâton et ses épaulettes, un maréchal a sept étoiles. Philippe Pétain, 1856-1951, les avait gagnées au lendemain de la guerre de 14-18, grâce à la victoire de Verdun (1916). Elles s'étaient ternies entre 1940 et 1945 en raison de sa politique de collaboration avec l'Allemagne. On parlait en 1964 de transférer son corps de l'Île d'Yeu à l'ossuaire de Douaumont, projet bien vite abandonné.

(4) Détournement d'expressions idiomatiques: c'est un art où Brassens excelle. Le présent chant ne fait pas figure d'exception bien au contraire. C'est ainsi qu'on rencontre au hasard des 15 strophes des évocations des expressions suivantes:
- str.3: se partager la corde du pendu (considérée comme un porte-bonheur)
- str.3: querelle d'Allemands (expression datant du Saint-Empire au sein duquel les princes, jaloux de leurs prérogatives, ne supportaient pas les empiétements de leurs voisins).
- str.6: abomination de la désolation. (Daniel: 9,27 ; 11,31 ; 12,11: déchéance complète de la foi hébraïque, par exemple quand Antioche Epiphane sacrifia à Jupiter Olympien dans le Temple, et Luc 21,20).
- str.10: Trois petits tours et puis s'en vont (citation d'une comptine dans laquelle Brassens insère le macabre "trois petits morts").
- str.11: sur le champ (compris comme "le champ d'honneur").
- str.11: prendre la vie comme elle vient (où "vie" est remplacé par "l'ennemi").
- str.12: tourner 7 fois sa langue dans sa bouche ("langue", remplacée par "crosse", pour évoquer une un geste cher aux antimilitaristes: "crosse en l'air" en signe de mutinerie.
- str.12: remettre une tâche à demain ("tâche" remplacée par "salve").
- str.13: titre d'une chanson enfantine "Malbrough s'en va-t-en guerre".
- str.14: prendre la clé des champs" (ce dernier mot remplacé par "cieux").
- str;14: évocation du passage de l'Evangile qui parle de la mort de Jésus entre deux larrons.
(1) The four beat tune: is built around four chords (C, D, E mi, A seventh) throughout 60 alexandrines with masculine rhyming couplets, divided up into 15 quatrains. The song is prolonged by a set of four measures repeated diminuendo which reminds of the Spanish anthem "Marcha Real", (or the Franquist hymn "Viva España"). ... Unless it were a popular French Pulcinella song

(2) Brassens' view of WWII: 2 uncles with opposite commitments, one for Pétain's regime (the friend of the "Teutons", the Germans), the other for the Resistance (the friend of the "Tommies", the British soldiers), whom their Anarchist influenced nephew prompts to reconcile post mortem, on behalf of allegedly unanimous French public opinion. In 1964, people were more intent on building Europe, then limited to the 6 EEC countries, than on rekindling old quarrels. . Back then De Gaulle vetoed twice the British application to join the EEC, arguing that Britain would come in as "an American Trojan horse", At the same time he endeavoured to bring France and Germany together on a peaceful footing.
However post war resentment was not yet fully abated and this song triggered off a wave of anger against Brassens which he addressed 8 years later in his disenchanted Dying for ideas.

(3) The stars of Field Marshall Pétain: There are seven stars on a field marshall's kepi, staff and epaulettes. Philippe Pétain, 1856-1951, had won them in WWI as a reward for his victory in Verdun (1916). They had tarnished between 1940 and 1945 on account of his policy of collaboration with Germany. In 1964 some people suggested the transfer of his remains from the Île d'Yeu to the Douaumont ossuary, a scheme that was soon given up.

(4) Diversion of idiomatic phrases: this is one of Brassens' favourite tricks. The song at hand forms no exception, on the contrary. We find the following expressions strewn about the 15 stanzas making up the poem:
- str.3: to divide into equal parts the hangman's halter (which were considered lucky charms)
- str.3: quarell of Germans (refers the Holy Empire of German Nation when German princes and kinglets were impatient of encroachments on their prerogatives by their neighbours).
- str.6: abomination of desolation. (Daniel: 9,27 ; 11,31 ; 12,11: total decay of the Jewish faith, when Antiochus Epiphanes dedicated the Temple to Jupiter Olympus, and Luke 21,20).
- str.10: the puppets turn, turn, turn, then they go away (a nursery rhyme into which Brassens inserts a gruesome "three little dead").
- str.11: "sur le champ" = immediately, literally "on the field" (here meaning "battlefield").
- str.11: just take life as it comes (where "life" is replaced here by "the ennemy").
- str.12: to think before speaking, lit. "turning 7 times one's tongue in one's mouth" ("tongue" is replaced by "buttstock", meaning "to think before shooting", and "to signify mutiny" by slinging one's riffle butt-upwards).
- str.12: to postpone a task till tomorrow ("task" here replaced by "salvo"="opening fire").
- str.13: "Malbrouc" is the title of a formerly satirical ditty "Marlborough got his gun".
- str.14: to take to the fields ("champs" is replaced by "cieux", heavens).
- str;14: this hints at the passion narrative in the Gospel mentioning that Jesus died between two thieves.







George Brassens chante "Les deux oncles"





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