UN SQUARE A MADRID Nulle herbe. Le sol est nu -sable ou caillou- Jonché de papiers, de journaux, de bouteilles vides. Les arbres sans feuillage n'ont d'ombre que leur tronc. Des bancs de bois dur et quelques banquettes de pierre. En contre bas, la rue qui le borde de deux côtés, Et le soleil tiède de l'hiver qui s'achève. Sur des bancs placés le long du mur Des dormeurs allongés enveloppés dans leurs manteaux Ne laissent deviner ni leur visage, ni leur âge. A côté, il y avait cinq joueurs de cartes. Deux portaient une casquette Et tous avaient atteint le port du repos. Un carton posé sur leurs genoux servait de table. Les cartes rouges s'élevaient, s'abattaient, Et les voix sonnaient, hautes et joyeuses. Devant, sur un banc, un vieux couple conversait. Que se contaient-ils? Elle était vêtue d'un manteau marron, Lui d'un imperméable couleur mastic. Evoquaient-ils la vie menée à deux Ou tout simplement les potins de la feuille de chou Ou les résultats du dernier match de fùtbol? Plus loin, d'autres joueurs de cartes, moins obstinés, Formaient un groupe moins bruyant Et de temps en temps, un d'eux se levait Pour dire quelques mots à ses camarades. Encore plus loin, des femmes en vêtements sombres, Telles qu'on les peint dans des romans surannés, Avaient traîné les bancs pour leur assemblée Et bavardaient et cancanaient en tricotant Tandis qu'à leurs pieds ou presque, Deux petites filles en rouge faisaient des pâtés de sable Avec le gravier. Dans le fond du square Des joueurs de boule s'agitaient à la façon de pantins Car j'avais à la fois leurs gestes et leur silence. Ajouterai-je le monsieur respectable lisant son journal, Celui qui somnolait au soleil, L'étudiant barbu qui compulsait de grandes feuilles Ou l'étranger de passage qui pour se donner une contenance Fumait sa pipe et feuilletait une revue d'histoire Tout en méditant ce poème? Le soleil était tiède comme à la fin de l'hiver. Le silence était couvé par les rumeurs de la rue. Les joueurs, les couples, les rêveurs poursuivaient leurs parties Et toute une troupe de grosses boules de plumes baptisées moineaux Explorait méthodiquement le square morceau par morceau Tandis qu'au fond du ciel, le temps Paraissait avoir décidé de se reposer. Il n'y avait pas d'herbe dans ce square, ni de fleurs, Seulement les troncs qui n'ombrageaient rien, Des bancs de bois ou de pierre Et surtout la volonté de croire au bonheur. Et je ne sais pourquoi il me vint à l'esprit Que ces bancs étaient déjà des tombeaux, Que les occupants de ce square étaient des morts Occupés à des activités de morts, Et la scène qu'ils joueront dans quelque temps, Ils venaient seulement la répéter Dans ce square situé à l'angle De la rue Bravo Murillo et de la rue Cea Bermudez. 17 mars 1986

Michel Galiana (c) 1992

A PUBLIC GARDEN IN MADRID No grass. The ground is bare -either stone or gravel- Strewn with empty bottles, litter, old newspapers. Trees, deprived of foliage, with no shade but their trunks'. Hard wooden benches and a few long stone ledges. Further down the streets which edge the park on two sides, And the mild radiance of the late winter sun. On the benches lined up all along the park wall Anonymous sleepers lie wrapped up in their coats. No one could possibly guess their face or their age. And close by, five men were engaged in playing cards. Two of them wore caps and All of them were retired. A cardboard on their knees made their playing table. The red cards, slowly raised, suddenly swooped down Under joyful tumult of high pitched voices. In front, an old couple chatted upon a bench- What about?- and she wore a hazel brown coat, He a light-coloured raincoat. Did they discuss Their common married life Or just the gossips in The tabloid or else the last fùtbol match score? Further on, other card players, less passionate, Made up a much quieter party. From time to time One of them would stand up And address distant mates. And still further away, women in dark attire Like the ones depicted in obsolete novels Dragged together their seats to arrange their meeting And chattered and gossiped hard over their knitting While, not far from their feet, Two little girls in red erected frail castles Made of the path gravel. At the back of the yard Bowls players moved about as in a pantomime: I perceived their distant gestures wrapped in silence. I'll add the dignified squire reading his paper, The basker-in-the-sun The big sheets consulting pointed-bearded student And the popped-in stranger who anxious to disguise His lack of composure, smoked a pipe while he leafed Through a history book and mused over this poem. The sun was mildly warm like in late winter time. Silence smouldered under the steadfast town rumour. The card players, couples, dreamers were at their games And a horde of fluffy, ruffled balls called sparrows Were scanning the garden intently, inch by inch, While in the bottom of the sky Time seemed eager to rest. In that garden there was no grass, there were no flowers Only trunks with no shade, Benches of wood or stone. And above all an urge to trust in happiness. And I could not say why it came into my head, That all these benches were in fact so many graves That the people I saw in this park were all dead And busy performing deathly pursuits; And the scene that they would have to play before long They had gathered for the sole purpose to rehearse In the garden situated at the cross point Of Bravo Murillo and Cea Bermudez streets. 17th March 1986

Transl. Christian Souchon 01.01.2006 (c) (r) All rights reserved

Note :

Ceux qui connaissaient Michel Galiana s'étonneront de le voir fumer la pipe dans de poème sur l'absurdité du monde. Il fumait "en cachette" et l'on a retrouvé chez lui des pipes et du tabac.

Commentaire du poète américain Poetry Hound:
Ce poème regorge de descriptions inutiles et sans portée aucune. Mais la strophe finale est aussi poignante que fascinante. Le poème gagnerait en impact s'il était distillé en 2 ou 3 strophes."

Réponse du poête américain, Beau Golden:

"J'adore les détails, les images et la division en strophes telles qu'elles sont. Je ne changerais rien! Poe aurait-il dû abréger le Corbeau?
Quel dommage que votre frère soit décédé. Il avait sans doute encore tant de choses à partager. Quel portrait magnifique il sait dépeindre avec ses mots. Son Art est immortel."

Auparavant le traducteur avait publié la réponse suivante à la remarque de Poetry Hound.
"Merci, Poetry Hound, pour votre commentaire.

Je dois rappeler que l'auteur de ce poème est mon frère, décédé en 1999 et que mon intervention se limite à traduire en anglais ces textes rédigés à l'origine en français pour les rendre accssibles au large public d'Internet.
C'est la première raison pour laquelle je ne me sens pas le droit de reprendre la distribution en strophes retenue par l'auteur, comme vous le suggérez.

La seconde raison est qu'un examen attentif du poème révèle une stucture très élaborée qu'il serait dangereux de bouleverser ou de détruire: la description d'un square qui se transforme peu à peu en un macabre théatre de pantomime.
Cette transmutation ne commence pas à la dernière strophe. Toutes les strophes suggèrent ce qui est clairement énoncé dans la dernière d'entre elles par l'empilement des mots "tombeaux" et "morts" (cité deux fois).
Le caractère poignant du texte est dû à la juxtaposition:
de cette lente et patiente progression et de cette fin d'une dramatiquedensité,
de ces vagues allusions répétées à quelque danse macabre moyenâgeuse et de la brutale révélation finale pour laquelle on appelle un chat un chat et la mort par son nom.
Ces allusions sont, entre autre:
l'absence d'éléments vivants dans le paysage entièrement inerte (pierre, sable, papier, verre, bois, pas d'herbe...), ce qui fait penser à un décor de théatre,
un public disposé comme dans un théatre (ces fantômes sans visage et sans âge) et des acteurs.
un éclairage artificiel qui ne projette point d'ombre et que donne un soleil pâle et froid des costumes sans couleurs, comme il convient à des fantômes (à l'exception des petites filles, lesquelles s'affairent à des tâches sans issue, tout comme les autres intervenants.
Acteurs symbolisant des catégories sociales dont ils portent les attributs comme dans la tradition médiévale: casquettes, journaux sérieux, etc...

L'arrangement de ces éléments descriptifs et allusifs précédant la révélation finale est, lui aussi, remarquable:
Décor, limites du théate, éclairage, public, joueurs de cartes bruyants, couple âgé, joueurs de cartes silencieux, tricoteuses et petites filles, personnages silencieux (y compris le poète, lui-même), éclairage, silence, moineaux (peut-être l'intrusion de la vie dans ce monde de mort), le temps suspendu, le décor à nouveau et la référence à l'illusion du bonheur (le sujet de la pièce), révélation, limites duthéatre. Une liste dont le caractère presque cyclique ne peut qu'être intentionnel et qui rappelle les anciennes ballades anglaises où les dernières strophes répètent celles du commencement."
Whoever knew Michel Galiana will wonder that he is depicted as a pipe smoker in this poem on the world's absurdity. He smoke "on the sly" and several pipes and pipe tobacco bags were found in his apartment.

Comment of the American poet Poetry Hound:

"This poem has a huge amount of unnecessary and inconsequential descriptions. But the final stanza is poignant and fascinating. The poem would pack more of a punch if it were distilled into 2-3 stanzas."

Answer of the American poet, Beau Golden:

"Well I love the detail and imagery and stanzas just as they are. I wouldn't change a thing! Should Poe have abbreviated the Raven? Sad, your brothers leaving, I'll bet he had a lot more to share. Such a great portrait he paints with words. His Art lives on."

Beforehand the translator had posted an answer to Poetry Hound's remark as follows:
"Thank you, Poetry Hound, for your comment.

To make things clear, the author of this poem is my brother who died in 1999. My work is limited to translating these texts originally written in French, so as to make them accessible to the larger Internet audience.
That is the first reason why I don’t feel free to rearrange the distribution in stanzas adopted by the author, as you suggest it.

The second reason is that a careful examination of the poem reveals a well thought out structure which it would be hazardous to upset or to destroy: a description of a public square that turns gradually into a macabre pantomime theatre.
This transmutation does not begin with the final stanza; all stanzas hint at what is clearly proclaimed in the last one with the piled up words “graves”, “dead”, deathly”.
The poignant effect is reached by the juxtaposition:
of this slow and patient progression and this compact ending
of the repeated vague allusions to a medieval “danse macabre” and the final crude unveiling, whereby a cat is called a cat and death is called by its name.

These hints are among others:
Absence of living elements in the landscape, only dead materials: stone, sand, paper, glass, wood, no foliage, no grass etc. evoking a stage setting. Artificial lighting (no shadows, pale cold sun)
Theatre-like arrangement of audience (the faceless, ageless wraiths) and actors
Light coloured costumes as suits phantoms, (with the exception of the little girls who nevertheless are engaged in a hopeless work in the very same way as the other characters)
Actors symbolising and bearing the insignia of social classes according to the medieval tradition: caps, serious newspaper, etc..

The succession of these descriptive and allusive elements before the final revelation is also remarkable:
Stage setting, theatre boundaries, lighting, audience, loud card players, old couple, silent card players, knitting women and little girls, silent characters including the poet, lighting, silence, sparrows (perhaps living intruders in this dead world) , still standing time, stage setting again with mention of the illusion of happiness (the subject of the play) , revelation, theatre boundaries. A nearly cyclical listing which must be intentional and reminds of the ballads of old where the final stanzas repeat the introducing ones."

Listen to "A public garden in Madrid" in English>

Index Aux Scythes