XIV MAI 68
L'an poursuivait son cours lorsque, pareil au songe,
Le feu se releva qui guettait sous la paix.
Les doux l'avaient ravi, mais les clercs du mensonge
En firent l'étendard pour déguiser les faix.
Des discoureurs venteux enflant leur suffisance
Entèrent leur jabot d'un masque de penseur.
Des mots fleurant l'azur menaient la rouge danse
Et des propos d'amour où manquait la douceur.
La liesse et l'espoir montèrent sur la ville
Où l'on eut cru ouïr des chaînes se briser
Si l'or pouvait germer de la plèbe servile,
Les chiffonniers des nuits pour l'aube s'embraser.
Le tumulte envieux avait l'accent des fêtes.
Caliban s'ébrouant défiait Prospéro.
Le pantin vénéré qui s'estimait prophète
Tançait les écoliers de la note zéro.
Les hilotes vainqueurs se crurent Parthénées...
Et tout s'évanouit comme on sort du sommeil.
Sur la ville pua le drapeau de fumées
Les rebelles calmés rêvèrent de soleil.
Mais les veilleurs savaient qu'était morte Mémoire.
Des glaives d'histrions avaient crevé les dieux.
Le terme était venu d'une très longue histoire
Où le Seul, chevauchant, faisait loi en tous lieux.
La paix aux tons de plomb, s'abattit sur les bouges,
Mais des cris muselés montèrent vers ma tour.
Je connus les sommeils de crin, les aubes rouges,
La face d'agonie hantant comme un vautour
Mes cimes, le fracas des roches qui se brisent,
Et j'étais cime, roche et témoin impuissant.
Les rues me pourchassaient de caresses de bises.
Des clameurs écumaient sur les sources du sang.
Ma paix s'était brisée sous le choc des cymbales
Une image luisait que je n'habitais plus.
Si ma chanson parfois regagnait la rivière
Ma bouche à boire avide heurtait des cailloux nus.
L'hiver fut songe et sang, assombri de murailles.
L'ouragan de la vie était une rumeur
Etrangère, la mort célébrait ses semailles.
J'invoquai le Démon que garde l'embaumeur,
Mais l'écho de ma voix éveilla le silence.
Par la porte d'ivoire et le parvis du roi,
Je gagnai le Secret, j'éprouvai sa présence.
Les dieux ne veillaient plus au centre de ma loi.
Michel Galiana (c) 1991
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XIV MAY '68
The year ran its course when, like in a dreamy mood,
The fire flared up that glowed, at rest apparently.
Robbed by meek Promethei, but the priests of falsehood
Had made of it a flag to hide their tyranny.
Bloated speechifiers went around and to prance
Had grafted on their crops masks of "Rodin's Thinker".
Words with blue sky flavours adorned the crimson dance,
As did speeches on love where no word was tender.
Mirth and glee and hope were rising over the town,
Alleged breaking chains with their noise drowned the sob,
As if nightly ragmen could hail the rising dawn,
As if gold could sprout out of a base servile mob.
That envious turmoil had the lilt of a fair.
Frolicsome Caliban defied stern Prospero.
The reverend jackass who deemed himself a seer
Gave those naughty schoolboys the vengeful mark zero.
The victorious Helots meant to be a Greek choir...
But all vanished away like after a slumber.
Over the town wafted smoke of a stinking fire.
The rebels, tired out, dreamt of sand and summer.
But the lucid did know that Memory was dead
And but wooden stage swords had pierced the windbag gods.
A very long story was coming to an end
In which a Single man, riding, enforced the law.
A leaden coloured peace had covered the town slums,
But the gagged protest cries were rising up my tower.
I heard of horsehair sleeps and of blood tainted dawns,
An agonizing face hovered like a vulture
Around my peaks. I heard tumultuous crushing rocks,
While I was peak and rock and powerless witness.
And the streets beguiled me with their icy wind strokes
And clamours were foaming on blood gushing sources.
My peace that the din of the cymbals did shatter
Was a shining image in which I lived no more.
If my song sometimes found its way to the water,
My thirsty mouth would meet only with barren shore.
The next winter was spent in sleep, blood and shadow.
The hurricane of life was to me strange murmur.
Death again and again did its seed grains winnow.
I invoked this Demon, friend of the embalmer,
But the sound of my voice also stirred up silence.
Through the ivory gate and the royal precinct
I reached the innermost Secret, felt its presence.
Gods did no more prevail over my true instinct.
Transl. Christian Souchon 01.01.2004 (c) (r) All rights reserved
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