Le Combat de la 'Surveillante' et du 'Québec', le 6 octobre 1779

Le Capitaine de Vaisseau Charles Louis Du Couédic de Kergoaler

Le Timonier Le Mang

Du Couédic de Kergoaler, gravure La Villemarqué fait précéder et suivre le chant "Kanaouen al Levier" de l'argument et des notes ci après:

ARGUMENT:
On sait quel enthousiasme excita en France la guerre d'Amérique. Il ne fut pas moins vif en Bretagne....
Le premier combat fut livré, au mois de janvier 1780 ( erreur de La Villemarqué: il s'agit, en fait, du 6 octobre 1779 ), à la hauteur de l'Île d'Ouessant, entre la Frégate française, La Surveillante, armée par un équipage breton, Capitaine du Couédic de Kergoaler et la frégate anglaise, Le Québec, Capitaine Farmer. Il dura quatre heures et demie.

A peine les Bretons avaient-ils mis le pied sur la frégate anglaise, qu'un incendie s'y déclara, ainsi qu'une voie d'eau à bord de la Surveillante. Les Français regagnent leur navire et courent aux pompes, les Anglais cessent d'être des ennemis. Le capitaine du Couëdic met à la mer le seul canot qui lui reste pour les recueillir. Ces derniers unissent leurs forces à celles des Français pour sauver la Surveillante. Rentrés au port, ils furent traités en naufragés et non en captifs...

NOTES
Kergoaler mourut à Brest le 17 janvier 1780 des suites de ses blessures... Ce que dit le poète populaire relativement au brave timonier Le Mang, né à Kervignac, près d'Hennebont, est parfaitement exact. Voici comment l'abbé qui prononça son oraison funèbre raconte l'événement:
"...Je vous rappellerai surtout les honneurs accordés par le souverain à un homme qui semblait né pour obéir et que son intrépidité a montré digne de commander. Il voit le pavillon abattu par les coups de l'ennemi; il le relève, le soutient seul, malgré tous les dangers, et, dans un vaisseau où il occupait le dernier rang, devient la colonne de l'honneur."
Quand la Convention publia le décret qui ordonnait à toutes les personnes décorées sous l'ancien régime de remettre entre les mains du gouvernement leurs distinctions honorifiques, l'héroïque Breton se rendit devant le Comité de salut public, avec sa médaille et un marteau.
"-Citoyens, dit-il, vous m'avez demandé ma médaille; mais c'est sans doute l'or que vous voulez: le voilà!" Et broyant la pièce sous son marteau, il la jeta aux pieds des conventionnels. "Quant à l'honneur, il m'appartient, personne ne me l'enlèvera!" En prononçant ces mots, il sortit, laissant le Comité stupéfait de la sublime audace de son action.
Le Mang est mort vice-amiral...
Source: le "Barzaz Breiz" de La Villemarqué.

LE TABLEAU DE GEORGE CARTER


'The engagement between the Quebec Frigate and Surveillante Frigate' Artist George Carter, Engraver J. Caldwell, Publisher George Caldwell & Co , date 1780 En octobre 1780, à Londres, George Caldwell publiait une reproduction d'un de ses tableaux sous forme d'une gravure exécutée par J.Caldwell et plusieurs fois recopiée par la suite, d'après un tableau de George Carter représentant l'engagement entre les deux frégates.
La gravure est accompagnée de ce commentaire:
"La frégate "Le Quebec", Capitaine George Farmer, accompagnée du cotre "Le Rambler", alors qu'elle croisait au large de Brest se trouva en présence de "La Surveillante" et après un combat acharné prit feu et fut détruite complètement. Le Capitaine Farmer et une centaine d'hommes perdirent la vie."
Source: Catalogue en ligne"Grosvenorprints.com".

George Carter offrit la première gravure à Madame du Couédic, en ces termes:
"Madame,
Souffrez que, vous rappelant le souvenir douloureux d’un époux illustre et dignement chéri, je vous le représente dans le plus bel instant de sa vie. Si d’un côté je renouvelle votre douleur, de l’autre je crois vous en offrir la plus douce consolation en cherchant à éterniser une action qui seule doit rendre son nom immortel. C’est un hommage qui vous est justement du et la postérité saura que ce tribut a été payé par un étranger et un ennemi . La gloire du vaillant Du Couédic n’en paraîtra que plus complète. Telle fut mon intention. Et je croirai avoir tout fait, pour moi- même, si vous daignez accepter cette esquisse du noble et grand tableau que ce héros a donné à l’Europe entière en combattant un ennemi digne de lui. "
Source: http://historic-marine-france.com/thematique/combatnaval.htm


LE TABLEAU DE ROBERT DODD

The 'Quebec' and 'Surveillante' in Action, Artist: Robert Dodd, date 1781, Oil on canvasLe National Maritime Museum de Londres possède un tableau peint en 1781 par Robert Dodd, dont il fait la description suivante:
"L'engagement entre les frégates anglaise et française fut un combat acharné. Elles étaient accompagnées chacune d'une découverte, le 'Québec', 32 canons par le 'Rambler', 10 canons et la 'Surveillante', 36 canons, par l"'Expédition", 10 canons. Les deux bâtiments se rencontrèrent à l'aube au large d'Ouessant et le 'Québec', ayant l'avantage du vent, s'approcha du navire français qui avait amené les voiles pour l'attendre. Le furieux combat rapproché qui s'ensuivit dura plus de trois heures au bout desquelles les deux bateaux se trouvèrent l'un et l'autre démâtés et hors de combat sous l'effet de la forte houle.
Alors que sur la 'Surveillante' les mâts étaient tombés par le côté, sur le 'Québec' ils s'étaient écroulés sur les ponts et les canons. Il ne pouvait plus combattre et ses propres canons du gaillard d'arrière mirent le feu aux voiles et cordages gisant au sol. L'incendie se propagea rapidement. C'est alors que les Anglais et les Français s'efforcèrent de sauver l'équipage. Le 'Rambler' qui avait attaqué l'"Expédition' et avait été lui aussi démâté envoya une chaloupe, tandis que l''Expédition' rejoignait sa frégate. La houle fut le principal obstacle au sauvetage des équipages. La chaloupe du 'Rambler' récupéra un enseigne de vaisseau, deux aspirants et quatorze marins tandis que la 'Surveillante' sauvait le premier lieutenant, le lieutenant en second, le chirurgien et 36 hommes d'équipage. Treize autres marins furent sauvés par un bâtiment russe qui croisait au large, mais les 127 autres périrent.
Le 'Québec' est représenté à droite démâté et le gaillard d'arrière en feu. A gauche on voit la 'Surveillante, également démâtée.
L'une de ses chaloupes s'éloigne et un marin nu grimpe à une échelle de corde qui pend à la poupe de la 'Surveillante'.
Au premier plan, à gauche, on voit des épaves de gréements et de voiles auxquelles les marins se raccrochent, tandis qu'à droite la chaloupe du 'Rambler' recueille des rescapés. L''Expédition' est au second plan à droite vu de l'arrière et on distingue le 'Rambler' bien plus loin, sous la poupe du 'Québec'. On aperçut une dernière fois le Capiaine Farmer assis sur une des ancres. Il fut tué par l'explosion de son navire.
Cet artiste fut l'un des principaux peintres à représenter l'aspect maritime de la guerre d'Indépendance américaine par ses tableaux dont il tirait lui-même des gravures.
Source: http://www.nmm.ac.uk/mag/pages/mnuExplore/

Que penser du commentaire de la Galerie d'art anglaise "Art Marine" (http://www.artmarine.co.uk/) à propos d'une gravure de 1800 tirée du même tableau de Robert Dodd?
"Le 6 octobre 1779, la frégate anglaise de 32 canons, 'Le Québec' (Capitaine Farmer) et un petit cotre, 'Le Rambler', alors qu'ils croisaient au large d'Ouessant, aperçurent et vinrent à portée de feu du vaisseau français de 40 canons, la Surveillante. Le 'Québec' ne répondit pas au feu de l'ennemi, jusqu'à ce que les deux bateaux soient à une distance de bout portant et c'est alors seulement que le combat s'engagea. Après 3 heures et demie de canonnade ininterrompue , les deux navires étaient démâtés et devenus pratiquement des épaves. A bord du Québec les voiles encombraient le pont et prirent feu. En dépit des efforts de l'équipage, le feu gagna l'ensemble du bâtiment jusqu'à ce qu'il explose vers 6 heures du soir. Le cotre 'Rambler' qui avait pris part à l'engagement et était, lui aussi, hors de combat, s'efforça de prendre à son bord les survivants du 'Québec' aussi longtemps que la chaleur de l'incendie le lui permit. Quelques marins anglais furent recueillis à bord de la 'Surveillante', mais la plupart périrent."
Ici c'est le Français, disposant d'une force supérieure (40 canons contre 32) qui attaque et si le sauvetage de marins anglais par la Surveillante est évoqué, l'accent est mis sur les pertes du 'Québec' et le rôle du cotre "Rambler".
Source: http://www.artmarine.co.uk/ .

Mais nos voisins britanniques n'ont pas le monopole du chauvinisme.
Il faut citer ici la description que donne de cette bataille le site français "Histoire et Figurines" qui impute aux Anglais une puissance de feu non plus égale mais supérieure:
"Le 4 octobre 1779, l’amirauté britannique dépêcha en observation devant Brest le Capitaine de vaisseau George Farmer à bord de la frégate de 36 canons, 'Le Quebec'. Pendant ce temps Du Couédic appareillait de Brest en direction de Portsmouth. Les deux frégates étaient accompagnées chacun d’une découverte ( l’'Expédition' portant 10 canons de 4 livres commandée par l’enseigne de vaisseau Rocquefeuil pour les Français et le 'Rambler' similaire au précédent commandé par le lieutenant George )."
Source: http://www.histofig.com/naval/scenarios_09.html

L'EVENEMENT RAPPORTE PAR LA GAZETTE DE WILLIAMSBURG (VIRGINIE) DU 12 FEVRIER 1780

Note: les points d'interrogation signalent des mots illisibles reconstitués.

Gazette de Williamsburg: 12 février 1780 page 2 colonne 3 - Editeur: Dixon"A environ huit lieues de Ouessant, il y eut un sanglant engagement entre la frégate 'La Surveillante' et 'Le Québec', tous deux de force égale. Les deux bateaux furent démâtés. La frégate française ne put conserver que son beaupré. Elle profita de son avantage (?) pour aborder le 'Québec' et après y avoir jeté une pluie(?) de grenades à main, les rescapés de l'équipage s'apprêtaient à sauter à bord de l'autre navire, quand ils y aperçurent un incendie violent et rapide (?). Aussitôt ils s'éloignèrent en se débarrassant de tous les restes du beaupré et ils sauvèrent 43 matelots et 2 officiers britanniques. Alors qu'ils s'étaient quelque peu éloignés grâce à leur rames, la frégate anglaise s'embrasa. La 'Surveillante' rentra à Brest. La plus grande partie des membres de son équipage étaient tués ou blessés. Le Capitaine De Coédic a reçu 3 blessures par balles, 2 à la tête, sans gravité et une au ventre qui, c'est à craindre, ne l'est pas. Le Commandant en second fut tué et c'est seulement le 6ème officier à bord qui fut capable de faire rentrer le bateau au port, tous les autres étant soit tués, soit blessés. Le vaillant Capitaine Coedic lui abandonna le commandement de la frégate une fois seulement l'engagement terminé, car pendant le combat il ne quitta pas le gaillard d'arrière, ne voulant à aucun prix détourner sur lui l'attention.

Extrait d'une lettre de Lorient datée du ... octobre 1779 et adressée à un gentilhomme de cette ville.

(On remarque que la gazette américiane ne fait pas état de l'héroïsme de l'Anglais Farmer qui préféra périr avec son bateau plutôt que de l'abandonner.)

L' EPAVE DE LA SURVEILLANTE

En décembre 1796, venant au secours de Théobald Wolfe Tone et de ses "Irlandais Unis", une impressionnante flotte française de 47 navires, quitta Brest sur l'ordre du Général Lazare Hoche. Elle transportait vers l'Irlande 15.000 soldats et 15.000 marins. Des conditions météorologiques déplorables conduisirent à sa dispersion, mais 19 bateaux transportant 6.500 soldats, dont Tone, parvinrent en vue de Bere Island dans la Baie de Bantry (Comté de Cork), la veille de Noël. Pourtant il s'avéra impossible de débarquer: de violentes rafales de vent d'est repoussaient les bateaux vers le large.
L'armada repartit le 3 janvier, abandonnant sur place un bateau, la vieille frégate 'La Surveillante'. En trop mauvais état pour retourner en France, elle fut sabordée au large de Whiddy Island le 2 janvier 1797.
L'épave fut redécouverte, exactement 200 ans plus tard, reposant par 23 m de profondeur, lors d'opérations de nettoyage de la Baie de Bantry consécutives à la catastrophe du Betelgeuse, un pétrolier qui avait explosé au terminal de Whiddy Island.
The wreck of the SurveillanteL'épave fut déclarée "monument national" irlandais en 1985.
Entre 1998 et 2000 on procéda à une série d'investigations géophysiques pour déterminer l'emplacement exact et l'étendue du site de l'épave et cartographier son environnement au moyen d'un appareillage sophistiqué. La remontée de la cloche du navire en 1997 dissipe tous les doutes sur son identité.
La photo sonar du site ci-contre nous a été aimablement communiquée par un parent de l'héroique Capitaine, M. Olivier du Couëdic.
(Pour plus de renseignements: http://www.science.ulster.ac.uk/cma/quinn%20et%20al%202002%20la%20surveillante.pdf).

Cette étude -qui recommande en conclusion, non la récupération, mais la conservation in situ de l'épave-, confirme deux détails apportés par le Mang dans son chant: le revêtement de cuivre de la coque et le nombre de 32 canons -que les chroniqueurs et commentateurs anglais, mais non la gazette américaine- avaient porté à 36 ou 40.
En 1765, à Bordeaux, l'ingénieur naval Guignace construisait 'La Belle Poule' qui servit de prototype pour ses autres frégates, dont 'La Surveillante'. Des recherches de l'historien maritime Jean Boudriot sur la 'Belle Poule' ont permis de construire la maquette à l'échelle 1/6 qui est exposée à Bantry. En 1780, on ne connaît que 12 navires de guerre français, tous des frégates, à être pourvus d'un revêtement de coque en cuivre. L'un d'entre eux était la 'Surveillante' qui en fut dotée lors d'un radoub en mai 1779. C'est ce que confirme le chant breton recueilli par La Villemarqué.
On visite à Bantry un musée exposant des objets en relation avec la tentative de 1796: le '1796 French Armada Exhibition Centre', installé dans la demeure seigneuriale 'Bantry House'.

MONSIEUR SERGE DE FAREINS, DESCENDANT DE CHARLES -LOUIS DU COUEDIC NOUS ECRIT

Le Chateau de Kergoaler a Scaër (Finistère)"Recherchant (à tout hasard...) des renseignements sur la propriété de mes aïeux à Kergoaler, un lien m'a amené jusqu'à votre site qui me plait bien.
Permettez-moi ...de me présenter :
mon nom n'est pas très breton, j'en conviens. Je revendique néanmoins mon appartenance à ce magnifique pays qu'est notre Bretagne, ma mère étant Anne du Couëdic, descendante en droite ligne d'un des trois neveux de Charles-Louis (le "Brave" commandant de La Surveillante) issu de la branche aînée. Mon grand-père, le colonel et comte Louis du Couëdic était une figure fort connue à St Brieuc, oùil est décédé en 1964; j'ai, pour ma part, vécu la plus belle partie de mon enfance dans celle bonne ville, ce qui me valut alors le surnom de "Petit briochin". Plus doué pour l'écriture que pour la musique, je suis en train de rédiger un bouquin de souvenirs de cette époque. Et mon épouse possède une villa au Vieux Bourg de Pléhérel, tout près du Cap Fréhel.
Tout ça pour dire que ma sensibilité de breton adoptif et aussi d'historien a été très fortement touchée par votre site :
...
- Une petite erreur s'est glissée dans votre texte : le combat s'est déroulé les 6 et (surtout) 7 octobre 1779 et non en janvier 1780; nous avons commémoré le bicentenaire de cette victoire au Musée de la Marine (Palais de Chaillot) en regroupant 400 descendants dont une quarantaine de godons. Un de mes oncles du Couëdic avait, pour l'occasion, fait frapper une très belle médaille par l'Hôtel des Monnaies. ...
Cet été, à Morlaix, a été vendu lors d'une vente aux enchères un lot d'assiettes en porcelaine de la Compagnie des Indes, armoriées du blason du commandant de "La Surveillante" et de sa femme. Laquelle, étant sa cousine, blasonnait de même que son époux. Mon oncle maternel Bertrand du Couëdic et moi espérions (naïvement ?) pouvoir l'acquérir...Ces pièces devraient se trouver dans un musée breton ou au Musée national de la Marine, ne pensez-vous pas ? Tristesse..."

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  • Pour en savoir plus sur le capitaine Farmer et le "Québec" (en français)

  • "Son al Levier" e brezhonek - La chanson du Pilote (en Breton)

  • La chanson du pilote (en français et en anglais)