An dialog etre Arzur Roe d'an Bretounet ha Guynglaff

Le Dialogue entre Arthur Roy des Bretons Et Guinglaff

[Ecrit ainsi en françois:] l'an de Notre Seigneur mil quatre cent et cinquante

A résumé in English is available on page Gwenc'hlan's Prophecy, chapter "The Gwynglaff in the "Dialogue with King Arthur"

'La cruelle rencontre de Saint-Aubin-du-Cormier' (28 juillet 1488) par Jeanne Malivel, 1922
"La cruelle rencontre de Saint-Aubin-du-Cormier" (28 juillet 1488) par Jeanne Malivel, 1922

		AN DIALOG...

Prélude	Dre Gracz Doe ez veze.
	N'en devoe ezdre voe en beth
	Nemet an delyou glas.
	N'en devoe quen goasquet.
[5]	An rese en beve
	N'endevoe quen boet.
	Didan un capel guel ez voe,
	Noz ha dez en e buhez en beth.
	Digant Doe en devoe e gloar en eff,
[10]	Ha ne manque quet.
	Dre Graçç Doe ez gouuie,
	Doediguez flam an amser divin illuminet.
	An Roe Arzur en ampoignas da sul,
 	Pan savas an heaul un mintin mat,
[15]	Ha dre cautel ha soutildet
	Ez tizas e dorn, hac e quemeret.
	Maz goulennas outaff hep si:
Refrain	En hanu Doe; me hoz supply,
	D'an Roe Arzur ez liviry
[20]	Pebez sinou e Breiz a coezo glan
	Quent finuez an bet man,
	Na pebez feiz, lavar aman:
	Pe me az laquay e drouc saouzan.

		Guynglaff

Couplet	Me a lavar dit a-deffry,
[25]	Quement a crenn a goulenny,
	Diouziff a gouvezy, nemet da maru ha ma hany.
	Calz a fizio en beth muy evyt en Ilis,
	An-tra-se a coezo dre vicz,
	Huy guelo etre tut a Ilis
[30]	Baeleien hep nep justiçç
	Pep foll a goulenno offiçç.

 
		LE DIALOGUE... : La Vie de Guinglaff

	S'il vivait, c'était grâce à Dieu.
	Il n'eut pendant qu'il fut au monde
	Que feuilles vertes contre l'onde,
	Comme unique abri sous les cieux.
	Semblable aux bêtes des forêts
	Il mangeait les baies et les pousses.
	C'est couvert d'une cape rousse
	Qu'il vécut sur terre caché;
	Mais eut de Dieu sa gloire au Ciel:
	Par la grâce de l'Eternel,
	Il voyait la venue du temps
	Manifestée divinement.
	Or, un matin, Arthur le roi,
	C'était un dimanche, je crois,
	Par ruse s'empara de lui.
	Il chercha sa main et la prit.
	Lui disant:" Je t'en prie, dis-moi,
	Je te prie de dire à ton roi,
	Quels événements, quels prodiges
	Le Ciel à la Bretagne inflige
	Avant que ce monde ait pris fin.
	Et à quoi croira-t-on demain?
	Dis, ou je te mets mal à l'aise..."

		Guinglaff

	Pourquoi, grand Dieu, te mentirai-je?
	Tu sauras tout, quoi qu'il advienne,
	Excepté ta mort et la mienne.
	Un jour l'on fera, vice immonde,
	Moins confiance aux prêtres qu'au monde:
	Vous verrez chez les gens d'Eglise
	Des prêtres user de traîtrise,
	Tous les fous voudront officier.


Titre: "Ecrit en français" est une addition du copiste reproduite par Dom Pelletier.

v.1 "C'était la grâce de Dieu qui le faisait vivre". Les vers 1 à 12 qui constituent ce que Dom Le Pelletier a nommé "la vie de Guinglaff" ont été coupés en deux par le copiste. On peut conjecturer qu'il fallait lire quelque chose de ce genre:
Dre gras Doue e beve un den, Gwinklañ añvet.
Nemed an delioù glaz n'en-devoa da wasked;
Grwizioù, louzoù ha frouez ar gwez, evel gouezed,
Ar re-se eñ mage, dezhañ ken ne oe boued.
Par la grâce de Dieu vivait un homme nommé Guinclan:
Il n'avait que des feuilles vertes pour abri.
Racines, herbes et fruits des arbres: comme les bêtes sauvages
Voilà ce qui le nourrissait. Il n'avait pas d'autre aliment.

V.9-12 On peut conjecturer qu'il fallait lire:
Dre gras Doue e ouie seder
Donedigezh flamm an amzer.
Dre gras divin illuminet,
He wele ha ne mañke ket.
Par la grâce de Dieu il savait sûrement
La venue éclatante du temps.
Illuminé par la grâce divine,
Il la voyait et ne se trompait point.

v.13 "Da sul" (un dimanche) est peut-être, selon Largillière, "da zur" (certainement), mais ce n'est pas l'avis d'Ernault qui souligne que si Arthur agit le matin, c'est pour surprendre le devin dans son sommeil comme le furent Silène dans les Bucoliques et Protée dans les Géorgiques et dans l'Odyssée.

V.20-23 "couezo"= "degouezho", se produira; [23]"Je TE mettrai en mauvaise surprise", alors qu'au vers 18, Arthur vouvoyait Guinclan. Comme au vers suivant, il le tutoie ("liviri="tu diras"), Ernault suppose qu'une erreur a été commise au vers 18.

V.24-26 Ernault conjecture qu'il faut lire (en reconstituant les rimes internes):
Me lavaro bref a -zevri
Kement a-grenn a goulenni
Ha diouzhin rez e gouzouezi
Nemed da fin ha ma hini.
Je te dirai succinctement (bref) et sérieusement (a-zevri)
Absolument (kement a-grenn) tout ce que tu demanderas.
Et par moi tu sauras tout (rez),
Sauf ta fin et la mienne.

Ernault note que dans les modèles dont l'auteur a pu s'inspirer, le devin adopte une autre attitude: dans l'"Histoire" de Geoffroy de Monmouth, Merlin révèle à Vortigern son propre destin. De même le Protée de l'Odyssée renseigne Ménélas sur ses fins dernières. Tirésias en fait de même pour Ulysse.

v. 27-31 Ernault note que la rime répétée "Ilis" ne peut être qu'inexacte. Il propose de remplacer "baeleien" par "barnerien rust" (pour la rime interne), "juges grossiers".
		Arzur

Refrain	Lavar, Guinglaff, me a pet,
	En hanu Doe so Roe dan beth,
	Pebez sinou a coezo quet
[35]	Quent evit an guez da donet.

		Guinglaff

Couplet	Te a guelo quent e donet
	An haff han goaff quesmenet,
	Ha ne aznavezy heur en beth
	Nemet dyouz an guez delyet,
[40]	Pe diouz an goeliou statudet.
	Neuze ez duy trubuyll meurbet,
	Bleau oar penn jouuanc loedet
	Gant an berr hoary arrivet,
	An beth a bezo quen tanau...
[45]	Neb a bezo a guelo gnaou.
	Huy a guelo, mar bevet
	Quent an guez da donet
	An tud a Ilis diguyset
	An douar fallaff a roy guellaff,
[50]	Han guisty guellaff dimezet;
	Hac un hoeresi a puplio
	Dre Cristenez, huy a guelo
	Hac a tenno da muyha glachar,
	Quent ez finuezo an douar
[55]	Huy a guelo quent an goursenn,
	Hoeretiquet a drouc empenn,
	Na sellont pep quis dispenn,
	An feiz a Doe so roy ha penn,
	Ha rac se ho castio tenn,
[60]	Maz vezo truez ho guelet,
	Quent evit an guez da donet.

		Arthur

	Dis-moi, Guinglaff, dis-moi, de plus,
	Au nom de Dieu, le roi du monde,
	Avant qu'Il ne tire la bonde,
	Quels signes seront advenus!

		Guinglaff

	On verra bien avant qu'Il vienne,
	L'hiver et l'été confondus: 
	Et le temps ne sera connu (*)
	Que par les fêtes anciennes.
	Ou l'arbre qui devient feuillu.
	De grands troubles feront pousser
	Cheveux gris sur les jeunes têtes,
	Dont la vie froide et désuète
	Rendra le monde clairsemé.
	Puisqu'on dit: "Qui vivra, verra".
	Ceux qui vivront, verront, hélas,
	Bien avant que ces temps n'adviennent,
	Les gens d'Eglise dépouillés,
	Au pire sol le meilleur blé,
	Les débauchées, les mieux loties,
	Et se répandre l'hérésie
	Vous verrez, en terre chrétienne,
	Ces nouveautés avec tristesse (**):
	Avant que la terre ne cesse.
	Et que le jugement ne vienne: (***)
	Des hérétiques se moquant,
	Sans réfléchir aux conséquences,
	De Dieu même. Et de cette engeance
	Le châtiment sera si lourd
	Qu'on sera pris de pitié pour
	Eux, avant que ce temps n'advienne. [*]

(*) En l'autre copie il y a mieux: "n'o aznavezeur quet" = on ne les reconnaîtra pas.
(**) Obscur.
(***) "goursenn" inconnu.

v.34 "sinou" est le mot "signe" dans le sens de "prodige annonciateur".

v.35 (et 47, 61, 147, 171): "gwez" qui a ordinairement le sens de "fois" signifierait ici "époque". Ernault traduit au vers 35 par "tour", "revanche" (divine).

v.37 Ernault suggère qu'il manque un "fresk" (pour la rime interne) ou un "hag" avant "an hañv".

v.38-44 La remarque (*) de Dom Pelletier signale qu'il disposait de 2 manuscrits avec des variantes. Ernault propose de restituer ces vers comme suit :
Ha neb eur n'anavezer ket,
Nemed diouzh ar gwez hel deliet
Pe ar gouelioù mat statudet.
Neuz' e gweler trubuilh meurbet:
Blev war penn yaouank deuet louet.
Gant ar berr-hoazl riouet
Ar bed a vezo moan-tanav.
Et l'on ne reconnaîtra plus les saisons
Qu'aux arbres joliment feuillus.
Ou aux fêtes bien établies.
Alors on verra bien des tribulations:
Les cheveux grisonneront sur la tête des jeunes gens
Dont la vie courte et glacée
Rendra la population rare et parsemée.

v.45 Le mot "gnaou" (exactement) est donné dans le dictionnaire de Le Pelletier d'après ce texte. (Curieusement, il semble correspondre pour le sens à l'allemand "genau"). Le v.47 est mal rendu. Il faut comprendre "avant que ne vienne le consommation des temps".

V.49-50 L'expression est attribuée à Guinclan par Kerdanet dans ses "Vies des Saints d'Albert le Grand".
Il manque, à la fin du premier vers, le mot "ed" (blé) auquel Le Pelletier supplée dans sa traduction.
Ernault suppose que Kerdanet a dû trouver ce proverbe dans la tradition populaire. La Villemarqué le reprend dans le Barzhaz (p.24 dans l'éd. de 1867) comme "cité par Dom Le Pelletier qui l'a copié sur le manuscrit original", ce que la revue "Mélusine" (x, 160) avait contredit (à tort, comme on le voit).
L.F. Sauvé, dans ses "Proverbes et Dictons de Basse-Bretagne" (Lavaroù koz a Vreizh-Izel) publiés en 1878, cite le proverbe en entier:
A-barzh e vezo fin ar bed
Ar fallañ douar gwellañ ed,
Ar fallañ merc'h gwellañ dimeet
Hag ar besterd araog o'ch ober tro 'r vered.
D'ici qu'arrive la fin du monde,
A la pire terre, le meilleur blé
A la pire fille, le meilleur parti
Précédée des bâtards qui feront le tour du cimetière.

v. 51 Ernault traduit "puplio" par "deviendra publique"

v. 55 le mot que cherche Le Pelletier est "gourfenn", la fin.

v. 57 "Pep quiz": lire "pep giz". "Na sellont a beb giz dispenn"= "qui ne regarderont pas à détruire de toute façon"

[*] De nos jours, nous dirions que ce passage annonce le dérèglement climatique, la pollution du globe et le triomphe de l'athéisme!
		Arzur

Refrain	Lavar diff Guinclaff, me a pet,
	En hanu Doe so roe dan beth:
	Petra vezo a coezo quet
[65]	Quent evit an-tra-se d'arrivet?

		Guinglaff

Couplet	Pan vezo Duc en Estampes
	Ne vezo den en Breiz hep reux,
	En bloaz mil pemp-cant triuguent ha dec (1570)
	Ez vezo an puch criet,
[70]	Maz lavarer e pep kaer, gouezet,
	Ez vezo an bresel finisset.
	En bloaz mil pemp-cant [tri-ugent] hac unnec, (1571)
	Ez savo mension meurbet,
	A bresel ha ne pado quet.
[75]	En bloaz [mil pemp kant] douzec ha triugent(1572)
	Ez vezo bresel ha meruent.
	En bloaz [mil pemp kant] triugent ha trizec (1573)
	Ez vezo an beth dipreder
	En esamant tout entier.
[80]	Goud-se ez duy devry
	Sauson cals ha diavaezidy
	A duy hep si diouz Orient,
	Dren bro gant gourdrousc ha cry,
	A laquay Breiz e mil sourcy,
[85]	Oz breselequaat peur defry.
	E triugent ha pevarzec, (1574)
	Pan vezo da sul dez Nedelec,
	Gue[r]z da cazec, ha pren yt
	Ha marteze ez vezo ret.
[90]	En bloaz triugent ha pemzec, (1575)
	Ez vezo an yt difiget[...]
	En bloaz seiz ha pevaruguent, (1587)
	Ez collo an Autronez ho rent:
	Ilis ha terrien antier (*) oll a commanço seder
[95]	Doufarz ha trederenn ez ranner.
	En bloaz mil pemp cant pevarugent ha eiz, (1588)
	Ez vezo truez gant bresel e Breiz:
	Ha quent pevaruguent hac eiz
	Ez vezo adarre he guir aer e Breiz.
[100]	Herry map Herry, ha dou Baron (**) da Herry
	A duy, ne fazio quet,
	Diabell bro, hac a vezo enoret,
	Hac a laquay Beiz hep moneyz.
	Calz a calon mam a vezo rannet,
[105]	Hac yvez lazet;
	Hac ez vezo entre pep ty
	An bresel criet.
	Un laerz a savo a Goelou
	Hac a taulo Breiz oar he genou.
[110]	Neuze ez lazer pep Autroi
	Gant clezefflou dir hac armou.
	Her drevezo dour en tnou glan.
	Pep tieguez a vezo goazha e rann. (***)
	Hac e metou tnouen Ry.
[115] 	Ez duy Jacob d'auber e ty
	Ha gode se glan damany
	Ez vezo eno defry
	ma forcher eno Abaty,
	Da pep sort gant an flechy.
[120]	War creis pont (Lez] Ry, hep neb si.
	E savo alarm diboell ha cry.
	Ha ne pado nemeur ho cry
	Maz duy muguet mil digentil diblas,
	Na vezo deza comparaig,
[125] 	Hac an rivier so hanvet Dourgoat,
	A chencho he liou ha he stat,
	Hac a hano ez duy an rivier un tro.
	An tra se so estimet d'en bro,
	Nep a vezo a guelo hep sy
[130]	En guelo glan damany.
	Cals a vezo a listry
	Azrouaentet digoezien.
		Arthur

	Dis-moi donc, Guinglaff, je te prie,
	Au nom de Dieu, le  roi du monde,
	Avant ce futur que tu sondes,
	Subirons-nous des avanies?

		Guinglaff

	Quand le Duc récupère Etampes,
	Pas un Breton qui n'ait d'ennuis.
	En 1570,
	Une paix sera proclamée,
	Et dans chaque ville "criée": 
	"Sachez que la guerre est finie!"
	Puis au cours de l'année suivante (1571)
	Nait une rumeur lancinante
	De guerre qui bientôt s'éteint.
	Oui, mais hélas, l'année qui vient (1572)
	Connaît guerre et mortalité.
	En 1573
	Tout le monde se pâme d'aise,
	Chacun jouit d'un bonheur parfait.
	Puis on voit tout cela changer:
	Beaucoup d'étrangers, de Saxons,
	D'étrangers qui de l'est viendront,
	Plein de courroux, poussant des cris,
	Et nous causant mille soucis:
	En vérité, la guerre est là.
	1574,
	- Lorsque Noël tombe un dimanche -
	"Vends ta jument, acquiers du blé"
	Le dicton semble s'imposer,
	Car au cours de l'année d'après (1575)
	Le blé viendra fort à manquer...
	En 1587
	Bien des Messieurs perdront leurs rentes,
	L'Eglise et les terriens d'abord: 
	Un tiers, deux tiers pour le plus fort.
	En 1588
	La pauvre Bretagne est en guerre,
	Car au cours de l'année dernière,
	L'hoir naturel revint ici,
	Henri, le propre fils d'Henri
	Et ses deux barons (ou "parrains") avec lui.
	Venus de loin, on les honore.
	Mais eux, détruisent la monnaie.
	Les cœurs des mères tiraillés
	Sont pour ainsi dire brisés (ou blessés à mort):
	Chaque maison et sa voisine
	Se font une guerre assassine.
	Un voleur surgit du Goélo
	Qui jette la Bretagne à terre.
	Et l'on tuera chaque seigneur
	Avec des épées et des armes 	
	(Que d'eau, dans la vallée de larmes!)
	A chaque famille son deuil
	Et au milieu du Val-du-Ry
	Jacob ira bâtir son nid.
	Et après cela...
	Cela empirera
	On forcera une abbaye
	Et ce, de toutes les manières...
	Et au milieu de Pont-du-Ry,
	Jaillit une alarme furieuse.
	Mais ce cri ne durera pas.
	Car mille cruels gentilshommes
	Viendront, à nuls autres pareils:
	Le ruisseau nommé l'"Eau de sang"
	Changera de couleur, de lit
	C'est de là que viendra son nom,
	A ce que l'on pense au pays.
	Qui vivra, pour sûr, le verra,
	Verra... (leur pouvoir éclatant).
	Il y aura force navires
	D'où les (ennemis accourront)

V.66 Estampes, prononcé "peuss" rime avec "reuz" (malheur, ravage). Largillière, dans son introduction, note que le comté d'Etampes avait été donné en 1421 par le futur roi Charles VII au frère (Richard) du Duc de Bretagne Jean V. Il passa à son fils qui devint le duc François II en 1458, lequel en fut dépouillé par le Parlement de Paris en 1478. Le comté fut restitué à la maison de Bretagne en 1513.

v.67 Ernault corrige le vers en "...den Breiz hep neb reuz".

v.68 Largillière note une ressemblance entre ce vers et les suivants avec le "Siège de Guingamp" publié par Fréminville dans les "Antiquités des Côtes-du-Nord, p.375. Il la tenait de Mme de Saint-Prix. Elle commence par:
E-barzh ar bloavez mil ha pemp kant (en 1500)
E teuas ar sezig war Wemgamp
Ha bremañ ar bloaz mil pemp kant seiz (1507)
Oa diskennet ar sezig war Breiz.

V.70 "Gouezet" ne peut signifier que "sachez-le".

V.81-87 "diavaeziat" (idi)=étranger. "Gourdrouz akr ha kriz" = querelle âpre et cruelle. "brezelekaat"=guerroyer. En 1574 Noël est tombé un samedi, non un dimanche.
L'historien J-M. Tourneur-Aumont (Annales de Bretagne, 1930, p. 1-17, "Le prophète breton Guinglaff au service du roi de France Charles VII", https://www.persee.fr/doc/abpo_0003-391x_1930_num_39_1_1656) note cependant que les "Tables de Pâques" permettaient de prévoir qu'en 1574 Pâques tomberait le 11 avril et que Noël serait un dimanche.
La première moitié du XVème siècle a connu de nombreux prophètes comme en témoignent les procès de Jeanne d'Arc (1430-1431) et de Gilles de Rais (1440). Ils recouraient à un répertoire de lieux communs, usaient de tours apocalyptiques (vers129, 184) et évoquaient, entre autres, des phénomènes naturels (vers 37-40) ainsi que la dépravation et les malheurs du Clergé après le Schisme d'occident de 1378-1417 qui prolonge l'installation de la papauté en Avignon en 1309 (vers 27-31, 48,52-61, 54, 134, 158). On en trouve la peinture dans le Roman de la Rose. Ce "chant royal" n'appartient donc pas à la poésie populaire, mais est le fait d'un clerc qui use d'une réthorique littéraire en vogue en 1450.
Selon Tourneur-Aumont, ce poème s'inscrit dans la préparation littéraire de l'expédition franco-bretonne en Normandie (août 1449 - août 1450) à l'initiative du roi Charles VII. Elle était commandée par le Duc François Ier et son oncle le comte de Richemont, Arthur de Bretagne (Cf. infra "Quelques remarques de Largillière", alinea 3) .


Charles VII (1403-1488) par Jean Fouquet (vers 1445)


v.91-95 "difichet"= manquant. "Seder"="serein". "Doufarz="deux-tiers" "trede-rann"= "tiers"

V.100 "Henri, fils d'Henri": les rois de la dynastie de Lancastre: 1399 Henri IV, 1413 Henri V (que le traité de Troyes de 1420 avait fait roi de France) , 1421 Henri VI déposé en 1461 par son cousin Edouard d'York bien qu'il régnât jusqu'en 1471. Cette rivalité entre Lancastre et York est connue comme la « guerre des Deux-Roses ».
Dans les Vêpres des grenouilles" de Luzel on trouve: "Teir rouanez er Maendi, perc'henn an tri mab Herri..." (trois reines dans la maison de pierre, propriété des trois fils Henri)




Armes de Lancastre au XVème s. Elles portent un lambel à
trois pendants ornées de 9 mouchetures d'hermine

V.108 En 1588, La Fontenelle, originaire du Goélo commençait ses exploits(?!).

V.111 "dir"="birou", "flêches" (vx fr. "vire"=trait d'arbalète).

v.112 "glann" "il y aura inondation sur les basses rives", à moins que ce ne soit "en tnou-mañ"= dans cette vallée (de larmes)

V.115-116 "Jacob"=(peut-être) "le Juif". "Glan damani"= "puissance éclatante" de "domaine")

V. 119 "Flechy": peut-être faut-il lire "pep seurt menec'hi"= "toutes sortes de moines".

v.123 "Muguet"= muy eged. "deza"="dezo", "dilas"= habile;

v.130-132"glan damany"= "pure puissance" (domaine) "azrouented"=ennemis, "digoezien"="degouezhidi"= "arrivants" ou "diavaezidi"= "étrangers".
		Arzur

Refrain	Lavar, Guinglaff, me a ped,
	En hano Doue zo Roue ar bed:
[135]	Petra vezo a coezo quet
	Pa vezo an-dra-se c'hoarvezet?

		Guinglaff

Couplet	Huy a guelo war an douar an gwez
	Discarret gant rust amser,
	Hac an rivieroù debordet,
[140]	En amzer ma'z meder an ed.
	Car tud gaillard ha paillarded
	Sikour a rencont da voned,
	Dre o bezaff quent langouret
	Pa  vezo beleien hep quet a reiz.
[145] 	Ha gant an groaguez collet mez,
	Hag aet karantez war divez
	Ariff eo gant Guengamp he guez.
	Un duc a deuy da Vreiz a Frans,
	A lakay ar vro hep chevañs
[150] 	Ha hennez a collo gant tut e ty,
	Dre re fiancz.
	Tailhoù a lakay kalz meurbed,
	Unan a deui ne paehor ket,
	En divez ez vezo criz gant mainer,
[155]	Ha c'hoari kreñv,
	Hag an trede a deuy (avezo devri)
	Ma'z dezroo an devet gant kriz
	Hep quet a si, ha tagaff a devri
	Ha trechiff war an holl beleien.
[160] 	En bloaz pevarugent hag eiz (1588)
	E deui ar Saozon e Breiz
	Doned a ra hini a flot meurbed
	Pa ne gouezhor quet an pred.
	Ar peoc'h kerz a vezo kriet
[165]	En bloaz quent evit ho donet
	E Breiz e pep kaer gouvezet.
	Un duc a yelo a Breiz e Frans
	Gant meur galloud ha puissans,
	Ha gode kerz hep setancz
[170]	Ez puniser dre martirizancz.
	Heb faot, pa vezo ar gwez kouezet,
	Saozon e Perzell (*) diskennet,
	Ha Brest, ne fazio ket,
	Da Leon ha da Gwengamp, kredit!
[175]	Pa n'ay an Saozon war ar mor.	
	Da vrezelekaat gant enor,
	Ez deuy an avel tempestuz
	Ma'z vezint graet morchedus.
	Ha dre hir spas e digachor,
[180]	Ha da Leon ha da Treger
	Ma'z diskennint e teir bandenn
	E Brest Goeloù ha Porz-Gwenn.
	Sec'h vezo ar boaz ma'z deont diskenn,
	Rag ar profesi a kelenn,
[185]	Hg pa'n prederhor bihanaff
	Ea arrivint a credaff
	Ur sul beure e-kreiz an hañv.
	Ma'z savo alarm gant armoù
	En Bretoneri knech ha tnou,
[190]	Hag etre tud burzudaou
	Gant an alarm ha marvailhoù
	Brest ha Leon, an Porz-Gwenn
	A kemerint goude-hen
	Saozon a futin arrivet guenn
[195]	A vezo quen theo ha gelvenn
	A-hed an douar hag al lenn
	Goap neb a vezo o tifenn,
	Ma ne vez e gras Doue Roue glenn
	Y a losko kanolioù,
[200]	Evit lazañ an tud a armoù
	Ha lakaat sig war ar kaerioù
	Diskar kestel ha tourelloù
	Pan krier e Breiz ar brezelioù
	Neuze, e vezo ken kruel,
[205]	Ma'z renko an ezec'h fall ha grwagez
	Moned da vervel ditruez
	Dindan poan da vezañ dipennet
	Gourc'hemennet don d'ar Vretoned,
	Koulz d'ar re di-arm ha re armet,
[210]	Da stourm ouzh o azrouanted moned,
	Ma'z dastumont fall ha seven,
	Dre gourc'hemenn ur kabiten,
	Gant armoù fall ha paltoioù,
	Hag ar gwragez o sikouro.
[215]	Ma'z marvint oll a strolladoù
	War Menez-Bré, a bagadoù
	Hag ar Saozon dren hent equipet
	A vezo meurbet armet guenn.
	Gwaz a vezo ar Vretoned
[220]	Mar tec'hont holl evel deñved
	Peurmuiañ ez vezint lazet
	Gant ar Saozon direzonet.
	Neuze ez ahint gant vaillantez
	Da lakaat seziz war Wengamp
[225]	Ma 'z vez Boy Ivon estonet
	Rag ne gouizie ket o doned.
	Ar madoù a vezo kuzhet
	Hag an toulloù kuzh  taolet,
	Hag ar porzhioù kloz a hast serret
[230]	Dre hazard don gant kanolioù
	Ez pilhont (fizier) ar mogerioù
	Hag e diskarront ar murioù
	Ha terriñ e Gwengamp an oll kambroù,
	Ha pilhad oll an oll madoù
[235]	Hag an oll dud en em rento.
	Hag etre bremañ ha neuze
	E vezo spont braz, rag se,
	Rag en divez n'arriuhe.
	Pa vezo Gwengamp diskarret,
[240]	Ez forzhor grwagez ha merc'hed
	Hag e lazher ezec'h ha gwragez,
	Ha Doue d'an fet a permetto
	Hon punisso evit em reuengaff.
	Ar Saozon a yelo c'hoaz adarre
[245]	Hep neb remorz hag estok,
	En ur vandenn, an oll Saozon
	Da kemered e Breiz posesion.

		FINIS

Ego Dom Yann Quéau exscripsi die decima sexta Augusti anno Domini 1619
		Arthur

	Mais dis-moi, Guinclan, s'il te plait,
	Au nom de Dieu, le roi du ciel,
	Qu'à coup sûr arrivera-t-il
	Quand cela se sera produit.

		Guinglaff

	Vous verrez sur le sol les arbres
	Renversés par les ouragans
	En pleine saison des moissons
	Et les rivières qui débordent.	
	Car les débauchés, les impies
	Reçoivent une aide traitresse
	Des gens coupables de mollesse:
	Prêtres de la règle oublieux,
	Ainsi que femmes sans vergogne.
	La charité n'aura plus cours:
	C'en sera fini de Guingamp...
	Les Bretons voient venir de France
	Un Duc qui ruinera leurs biens.
	Lui, sa maison, perdront leur chance, 
	Pour avoir bien trop fait confiance,	
	Il nous écrasera d'impôts.
	Un autre en veut à nos trésors:
	Si le manque d'argent l'obsède,
	Le tumulte est bien pire encor.
	C'est alors qu'en vient un troisième:
	Loup qui se rue sur les brebis,
	Il les dévore et se démène,
	Réduit les prêtres à merci:
	Puis en l'an quatre vingt et huit (1588),
	En Bretagne le Saxon vient!
	Il apprête une flotte immense
	Cela, sans qu'on n'en sache rien.
	Certes, l'on proclamait la paix
	Un an avant cette échéance
	Dans tous les chefs-lieux du Duché...
	Un Duc va de Bretagne en France,
	Il est chargé des pleins pouvoirs.
	On l'exécute sans sentence,
	Une torture horrible à voir.
	Il en est ainsi, croyez-moi!
	Et l'Anglais débarque à Bertheaume (*)
	Ainsi qu'à Brest, destin amer,
	A Guingamp, en terre Léonne.
	Lorsque l'Anglais ira sur mer
	Faire la guerre aux gens d'honneur,
	S'élèveront des vents d'orage
	Qui sa course ralentiront
	Et son terme retarderont.
	Ces soudards seront égaillés
	De Saint-Pol jusques à Tréguier.
	Ils débarqueront en trois corps:
	A Brest; en Goélo; au Blanc-Port (Porz-Gwenn),
	En période de sécheresse.
	C'est la prophétie qui le dit.
	Donc c'est en ce temps de détresse
	Qu'ils viendront, comme il est prescrit.
	Tôt le dimanche, en plein été.
	On lancera l'appel aux armes
	Par monts et par vaux, en Bretagne.
	Et s'accompliront des prouesses!
	En vain! Bientôt ils auront pris 
	Brest, Saint-Pol, Port-Blanc sur la Manche.
	Les Saxons aux cuirasses blanches
	Pullulent tels des passereaux,
	Le long des landes et de l'eau.
	Malheur à qui veut se défendre,
	Privé de la grâce de Dieu:
	Aux canons ils boutent le feu,
	Déciment les hommes en armes
	Et mettent le siège aux cités.
	Châteaux et tours sont renversés...
	La Bretagne entre dans leur guerre,
	Pour des combats tant acharnés
	Que mariés malades et femmes
	Se voient sacrifiés, chose infâme!
	Qui refuse est décapité.
	On met les Bretons en demeure,
	Qu'ils soient mains nues ou bien armés,
	D'aller affronter l'ennemi;
	Les canailles et gens de bien,
	Sous les ordres d'un Capitaine,
	Mal armés, en manteaux de laine,
	Les femmes sont leur seul soutien.
	De sorte qu'ils mourront en foules,
	Sur le Ménez-Bré, en troupeaux.
	Propulsés par la blanche houle
	Des Saxons armés de couteaux.
	Les Bretons seront pris au piège:
	Ceux qui voudront s'enfuir seront
	Presque tous tués, quel sacrilège!
	Par ces forcenés de Saxons.
	D'autres iront avec courage
	Assiéger les murs de Guingamp.
	Pour Bois-Yvon c'est un mirage:
	Que de les voir là maintenant.
	Et l'on veut cacher toutes choses
	Dans des trous qu'on aura creusés.
	Et l'on court fermer les cours closes...
	Peine perdue, quand des canons
	Frappent et brisent les murailles,
	Que sur Guingamp pleut la mitraille,
	Que les portes perdent leurs gonds.
	Et les biens de tous sont pillés.
	Et tout le monde doit se rendre...
	Tant que ces jours se font attendre,
	On ne cessera de frémir
	Jusqu'alors, depuis aujourd'hui.
	Puis, une fois Guingamp détruit,
	Violées les femmes et les filles
	Et tués tous ces gens qu'on pille:
	Dieu veut, après tant de souffrance,
	Encore assouvir sa vengeance:
	Les Saxons iront par les landes,
	Sans remords et sans coup férir,
	Voyant à leur immense bande
	Toute la Bretagne s'ouvrir.

		FIN

	Traduction Christian Souchon (c) 2013

	(*) C'est une rade à l'entrée de Brest,
en dedans de la Pointe Saint-Mathieu, où il y a
entre autres un rocher fortifié, garni de mortiers
et de canons, nommé en breton "Kastel Perzell" ou 
"Château Bertheaume".

V. 140 "mediñ" = "moissonner"; v. 146 "aet war diwezh" = "a touché à sa fin"; v. 147 "ariff"= "erru" (arrivé);

V. 154 "manier" = "monetz" ("Gant monetz breff ha creff hoary: avec manque d'argent et fort tumulte"), selon Ernault.

v. 156-159 Ernault les reconstitue comme suit:
Hag an trede a zeuy hep si
Ma deraouio an duk gant kri
Da tagañ deñved a devri
Ha war an holl menech trechiñ.
Et le troisième viendra sans faute.
Quand le duc se mettra, à grands cris,
A égorger des brebis solennellement
Et à mâter tous les moines.

V. 160 On revient à l'année 1588, où l'on était au v. 96. Le v. 96 paraît avoir commencé une revue d'événements antérieurs à 1588 et échelonnés sur un assez grand nombre d'années, puisqu'on a vu trois ducs se succéder. (Note de Largillière).

v. 164 "Kerz"= "certes"; V. 167. Ce duc est le même qu'au v. 148

v.169 Ernault rétablit "Ha gode kerz hep setancz" en "Ha goude-se hep ket setañs".

v.172 Château de Bertheaume / Perzell: à cet endroit les Anglais furent battus en 1558: Ils avaient débarqué au Conquet.
En 1694, la flotte de Lord Berkley essaya en vain de débarquer à Camaret (cf. Combat de Saint-Cast, strophe 11).

v.178 "morc'heduz"= soucieux (morc'hed= repentir)

v.194-200 "Futin"= mot inconnu; Puis lire: "A vezo tev evel kelienn" (seront drus comme mouches) au lieu de "gelven" pluriel de "golvan" (-ed)= moineau; v.196 "Ahed an douar hag al lenn" = "le long de la terre (d'ajonc) et des étangs; v. 198 "S'il n'est dans la grâce de Dieu, le roi du monde; v. 199-200 lire "Int a losko o kanolioù" = "Ils tireront de leurs canons"... "Da lazañ war"="pour les tuer sur"



AVERTISSEMENT DE DOM LE PELLETIER

On m'a conseillé de joindre à ce Dictionnaire deux écrits Bretons qui sont les plus anciens que j'aie pu voir en cette langue. Ils seront ainsi conservés à la postérité, et serviront à faire voir qu'il y a déjà longtemps que ceux de ce pays qui ont assez de capacité pour composer de mauvaises pièces ne savaient pas parfaitement leur langue maternelle, en quoi les villageois les surpassent. On verra encore par ces deux pièces de rimailles qui ne sont presque plus intelligibles aux Bretons d'aujourd'hui, même à M. Roussel le plus habile de tous ceux que j'ai connu [Guillaume Roussel, était recteur de Plounéventer]: on verra dis-je que la langue bretonne se perd sensiblement, comme je l'ai remarqué ailleurs. Ce M. Roussel m'avoua un peu avant sa mort qu'il n'entendait point ce breton. Il m'a donc fallu travailler avec grande application à traduire ces deux petits ouvrages, qui n'en méritent guère la peine: et comme il y. a plusieurs paroles dont je n'ai pu connaître la véritable signification, je les ai passées, laissant leur place en blanc, afin que d'autres plus savants remplissent ce vide, s'ils peuvent bien le faire. Ayant deux copies de la vie de St Gwenolé, j'ai suivi la plus ancienne.
Les prétendues Prophéties de Guinglaff ont le même défaut que la vie de St Gwenolé, y ayant aussi beaucoup de mots français mêlés parmi le breton : ce qui montre qu'elles ne sont pas plus anciennes, ni tant qu'on a voulu le faire croire.

Il était marqué à la fin du titre, en français, l'an de N. S. Mil quatre cents cinquante: et quelque mal avisé a été assez imprudent pour effacer Mil afin de rendre cet écrit plus ancien de mille ans, ne faisant pas réflexion qu'au cinquième siècle le français n'était pas en usage comme il aurait dû être si Guinglaff avait prophétisé en ce temps; puisqu'il se sert de tant de mots qui sont en usage en notre langue; et même du nom "Canol" pour des "canons", pièces d'artillerie qui tirent avec le feu, et servent à renverser les murs des forteresses [ Il faut entendre que "mil" aurait été gratté ou .barré sur le ms., mais de telle façon que Le Pelletier a pu facilement le rétablir.].

Il y a une autre preuve que ce prétendu Prophète n'est pas même du milieu du 15e siècle, c'est que le duc Artur troisième, qui est le plus prochain de cet âge n'est né, selon l'Histoire de Bretagne, que l'an 1457. Quant à Artur Ier il est né en 1186. Et Artur second en 1262. Et tous trois ne portaient que la qualité de Duc [Il s'agit pourtant apparemment du roi Arthur des romans de chevalerie et non d'un des ducs Arthur]. Aussi il y a bien de l'apparence que ces 1354 prétendues prophéties sont antidatées et faites après coup ["antidatées", c'est possible, mais non "faites après coup", car dans ce cas elles seraient exactes!].
Une preuve positive et convaincante de leur fausseté est que l'Histoire leur est contraire presque en tout.

Cependant, plusieurs personnes d'esprit de ce pays ont été persuadées de la plus grande antiquité de cette pièce: et n'entendant pas assez la langue, ont voulu, sans faire attention aux années marquées pour chaque prédiction, les trouver accomplies dans les deux dernières guerres: et entre autres un Prieur des Chanoines Réguliers de l'Abbaye de Daoulas, nommé M. de Plaisance, homme spirituel et savant, mais mal instruit en ce fait. Il m'avait envoyé une copie très défectueuse de cet écrit, voulant m'engager à le traduire, ce que je ne pus pas faire en ce temps là, n'ayant pas les secours convenables.
Il me dit aussi que l'on avait fait présent d'une de ces copies au Père de la Chaise, alors Confesseur du Roi Louis XIV de glorieuse mémoire [depuis 1675. Mort en 1709]:
et même que des Dames en avoient porté à Paris, pour y faire voir ce prétendu accomplissement des prédictions de Guinglaff.
J'ai obligation de la copie que je place ici au R. P. Le Roux Jésuite à Quimper et grand Missionnaire Breton [1653 - 1725].
La copie défectueuse, dont je viens de parler, contenait une addition de prédictions qui ne m'ont pas paru mériter d'être insérées ici, et d'autant moins que les fautes y sont plus nombreuses et plus difficiles à corriger, par manque d'autres plus correctes.

Je traduis ces deux pièces autant littéralement qu'il est possible sans rendre le sens trop obscur: et quand je rencontre des endroits que je n'entends pas assez clairement, je les laisse en blanc dans la version, afin que ceux qui les entendront mieux puissent suppléer à ce défaut. Souvent un seul mot m'est inconnu: et je le marque ainsi à la marge.
Je dois encore avertir qu'il se peut faire qu'en traduisant certains mots, je leur donne une signification différente de celles que j'ai pu leur donner dans le Dictionnaire, ce qui vient des différentes rencontres ou ces mots se trouvent, les quelles je n'avais pas prévues, ou parce que j'ai eu de nouvelles connaissances, par des secours fournis trop tard. Cet inconvénient est rare: et si j'ai jamais un grand temps à moi, je reverrai le tout, et j'y corrigerai ce qui en aura besoin.



QUELQUES REMARQUES DE LARGILLIERE

  • Dans l'introduction, de l'opuscule consacré à ce dialogue, Largillière note:
    "Le Pelletier indique que le texte qu'il utilisait n'était pas complet. Sur l'autre copie qu'il détenait, il y avait une "addition de prophéties" (un nombre supérieur). C'est dans cette autre version qu'il a trouvé "orzail"=batterie, cité dans le dictionnaire. C'est sans doute là aussi que Grégoire de Rostrenen dit avoir lu que Guinglaff résidait entre le Roc'h Allaz et le Porz-Gwen", alors que ces vers ne sont pas dans le présent texte.
  • Largillière, considère la présentation du prophète vivant en pleine forêt comme un souvenir de ce qui est dit de Merlin dans la "Vita Merlinis" de Geoffroy de Monmouth:
    Utitur herbarum radicibus, utitur herbis
    Utitur arboreo fructu, morisque rubeti
    Fit silvester homo, quasi silvis editus esset.
    Il se nourrit de racines, il se nourrit d'herbes
    Il se nourrit des fruits des arbres et de mûres de ronces
    Il est devenu un homme des forêts, comme s'il y avait été enfanté.
  • Selon Largillier, le roi Arthur de la prophétie n'est pas Arthur III le Justicier (1393 - 1458), connu aussi comme le Connétable de Richemont, qui fut Duc de Bretagne de 1457 à 1458, ni aucun des deux autres Arthur qui le précédèrent dans cette haute fonction, mais bien le roi Arthur des romans bretons.
  • Toujours selon Largillière, ce Guinglaff, n'était pas connu de la tradition (à la différence de son interlocuteur), car, dit-il, s'il avait été connu, il n'aurait pas été nécessaire de le présenter comme le fait l'auteur au début du dialogue.
    Il admet cependant qu'"il reste prudent de ne rien affirmer en pareille matière" et que Grégoire de Rostrenen, lorsqu'il plaçait Guinglaff en 240 puis en 450 n'était pas dans l'erreur. Il avait seulement le tort d'affirmer que cette prophétie était de cette époque.
  • Il remarque que la poésie s'intéresse principalement à Guingamp, cité trois fois (on peut conjecturer que l'auteur en était originaire) et, dans une moindre mesure, à Saint-Pol-de-Léon qu'il appelle Léon, Tréguier, Le Port-Blanc, ainsi que Brest et le château de Bertheaume en Plougonvelin.
    Comme son horizon géographique, son horizon politique est très borné: une seule nation étrangère intervient, les Anglais. Les Ducs de Bretagne vont en France, mais les Français sont ignorés.
  • L'auteur n'était pas d'avantage un astrologue: en 1574, Noël ne tombait pas un dimanche!
  • Quant aux critiques que Largillière adresse au texte, Ernault n'impute pas les défauts qu'elles visent à l'auteur primitif qui non seulement use d'une orthographe cohérente, mais ne maltraite en aucune façon les règles de la poésie bretonne. Il lui a semblé possible de restituer une grande partie des rimes internes qui restent toujours visibles.



    DATE
    Le texte lui-même est daté, dès la 1ère ligne, et en français, de 1450
  • Elle est de la main de Dom Pelletier avec la mention "écrit en français". Largillière suppose que c'est probablement une addition du copiste de 1619, mais non une mention portée par l'auteur du texte. Comme Le Pelletier n'en dit rien on peut supposer que la deuxième version portait la même date. Tandis qu'il a noté la différence qui affecte le nom du copiste: "Quen" sur l'une des copies, "Quéau" sur l'autre. Ernault suppose que les deux copies de ce Quéau viennent d'un même texte dont la reproduction exacte aura paru au copiste trop barbare et qu'il aura remanié en en faisant une interprétation abrégée.
  • Pour en revenir à la date, il y a lieu de la croire exacte, à cinquante ans près, car ce que la prédiction relate cadre bien avec la seconde moitié du XVème siècle:
  • Le texte est visiblement antérieur à la défaite du Duc de Bretagne, François II, à Saint-Aubain-du-Cormier en 1488 (très loin de Guingamp) et aux négociations qui précédèrent le mariage d'Anne de Bretagne, puisqu'il n'évoque pas ces événements.
  • Le comté d'Etampes où le Duc se rendra en 1570 (V. 66), avait été attribué à Richard de Bretagne par Charles VII en 1421 et sera repris en 1478. Il sera rendu à la Bretagne en 1513. Mais il ne s'agira jamais que d'un titre, les Ducs de Bourgogne conservant la jouissance du Comté et continuant, eux aussi, à en porter le titre jusqu'en 1478.
  • Les vers 169-170 parlent d'un duc martyrisé sans sentence, ce qui fut le cas du malheureux Gilles de Bretagne (1420 - 1450) qui complota contre son frère, le Duc François Ier (1414 - 1450), avec l'aide du roi d'Angleterre, Henri VI (1421 - 1471), celui qui fit brûler Jeanne d'Arc. Le Duc le fit mettre en prison en 1446, où Gilles mourut étranglé le 25 avril 1450. François frappé de remords mourut quelques mois plus tard.
  • Guingamp subit des sièges en 1409 (suivi de la démolition du château), mais aussi en 1489, 1490 et 1491

    AUTRES REMARQUES
  • Guinglaff se rattache soit au Trégor ( Porzh-Gwenn en Penvénan), soit au Pays de Daoulas, puisque Dom Le Pelletier dit en avoir reçu un manuscrit défectueux du Prieur des Chanoines Réguliers de l'Abbaye de Daoulas. Le manuscrit du Mystère de sainte Nonne vient aussi de cette région (il a été trouvé à Dirinon),
  • Il existe également plusieurs témoignages citant un « livre de Guiclan": un seul nous a été conservé, le "livre du meunier de Milin-Lann enTrébeurden", dont des extraits sont cités dans un manuscrit rédigé par Hippolyte Raison du Cleuziou (1819-1896), archiviste de la Société archéologique des Côtes-du-Nord et qui ont été communiqués par son petit-fils à l'érudit celtisant Gwennolé Le Menn ( cf. Prophéties de Gwenc'hlan, notice bibliographique, ajout en bleu). Ils présentent avec le texte ci-dessus des similitudes frappantes.
  • Comme indiqué à la page An den kozh dall, La Villemarqué avait recueilli de la bouche d'un nommé Moal de Trébeurden, sans doute en 1843, et avait noté dans son 3ème carnet de collecte, p. 23, le résumé d'un dialogue entre Guinclan et son fils, dont il dit qu'il est surtout connu sous le nom d' "An den koz a lavare"... «le vieillard disait ». Ce texte est parallèle à celui recueilli par de Pengwern.
  • Outre ces références écrites, le texte moyen breton ci-dessus présente des liens étroits avec une tradition populaire orale de prophétie toujours vivante, abordée à la page "er Roe Stevan" et dont ce "chant royal", structuré en refrains et couplets, suivant des modèles français tels que "l'Art de dictier et de faire des ballades et chants royaux" (1392), constitue la première apparition écrite.
    "Er Roe Stevan" (Abbé JM. Guilloux)
    "Prophétie de Gwenc'hlan" (Barzhaz)
    "An den kozh dall" (Penguern)