La plus ancienne chanson populaire? "La chanson bretonne que l'on trouvera plus loin est, à ma connaissance, la chanson populaire la plus ancienne [*] qui nous soit parvenue (je mets à part les cantiques)... Dans ...le grenier de la maison de ma mère occupée...jusque vers 1890 par la mairie de Pleubian, près de Tréguier, se trouvait une liasse de feuillets manuscrits du commencement du 17Ie siècle. Ces 18 feuillets...se composent de pièces diverses de procédure... et de brouillons de cours d'étudiant, en latin et en français ; plusieurs de ces pièces sont de la main d'Yves Le Patezour...et sont datées de 1632 et 1633" [*] Cette affirmation doit dans doute être nuancée: cf. Me 'm-eus ur vestrez ma mignon Yves Le Patezour "Les registres de Pleubian n'étant pas antérieurs à 1624, je n'ai pu trouver la date de naissance d'Yves. Il était fils d'Ollivier et de Jeanne Louchon... On lit dans le registre des décès : « L'an 1658, le 18e jour du mois de juin, Maître Yves Le Patezour, notaire, est décédé... duquel le corps a été inhumé le lendemain dans notre Eglise paroissiale. G. Lucas ». G. Lucas était recteur de Pleubian. Il semble bien qu'en 1631, quand il commence à donner des leçons à Yvon Le Bris (cf. infra), Yves Le Patezour était sorti du collège depuis peu, puisqu'il utilise encore ses cahiers d'étudiant pour écrire comptes et chansons et noter 'un exemple pour plain chant'." Feuillet portant la chanson "Le plus important des feuillets ... porte au recto des notes d'écolier ; un bout de la page contient une quinzaine de lignes en latin concernant la 6e églogue de Virgile... l'autre bout dix-sept lignes en français sur la 'condition de l'ousme (homme), Cicéron et tous ceux qui en ont traité s'accordant sur « ce seul poynct personne ne pouuoyct contanter de sa fortune '. Dans l'espace resté libre entre ces deux textes, on lit : 'Pour servir à M. Yves Le Patezour, fils de feu Ollivier de la paroesse de Ploebihan celluy ou celle qui le trouvera audict nom il randra il payra le vin à la mesure de quintin', plaisanterie d'écolier, la mesure de Quintin concernant la toile. Ce feuillet, plié en deux, a donné au verso deux demi-pages, sur l'une desquelles se trouve la chanson qui va être donnée. Sur l'autre le « rolle » des sommes dues par un nommé Yvon Le Bris 'depuis qu'il a este commance a vesnir a lecolle le 8e jour de mai 1631, à raison de 4 solz par mois, au total, pour 14 mois « onze réall et un soulz'. " |
The oldest Breton folk song? "The Breton song that we will find further on is, to my knowledge, the oldest folk song [*] that has reached us (excepted the church hymns) ... In ... the attic of my mother's house which belonged ... until around 1890 to the premises of Pleubian town hall, near Tréguier, there was a wad of handwritten sheets from the beginning of the 17th century. These 18 sheets ... consist of various procedural documents ... and drafts of student lessons, in Latin and French; several of these pieces are by the hand of a named Yves Le Patezour ... and are dated 1632 and 1633 ". [*] This statement should be taken "cum grano salis": cf. Me 'm-eus ur vestrez ma mignon. Yves Le Patezour "Since parish Pleubian's registers do not refer to years before 1624, I could not find out Yves' date of birth. He was the son of Ollivier and Jeanne Louchon ... We read in the death register:" In the year 1658, the 18th day of June, Master Yves Le Patezour, notary, died ... whose body was buried the next day in our parish church. G. Lucas ". G. Lucas was the vicar of Pleubian. It seems that in 1631, when he started to give lessons to Yvon Le Bris (cf. below), Yves Le Patezour had just left college, since he still uses his student notebooks to write accounts and songs and note 'an example for plain song'. " The sheet with the song "The most important of the sheets ... bears schoolchild notes on the one side. The bottom half of the page contains about fifteen lines in Latin concerning Virgil's 6th Eclogue ... further down there are seventeen lines in French on the 'human condition', Cicero and all those who wrote about this topic agree on 'only one point, namely that nobody really accepts to be satisfied with their fate'. Somewhere between these two texts, we read: 'To serve Mr. Yves Le Patezour, son of the late Ollivier of the parish Ploebihan. Anyone who finds this notebook should return it to the aforementioned person, who will pay him wine according to the 'Quintin measure'. This is a schoolboy joke, since Quintin's measure is a canvas size standard. This sheet, being folded in half, on the back of one of these two half-pages, is the song to investigate. On the other half page, we find the roll of the sums due by a named Yvon Le Bris 'since he started coming to school on the 8th day of May 1631, at the rate of 4 pence per month, in total, for 14 months, 'eleven shillings and a penny'." |
Original | KLT | Français | English |
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Er gouers neuez 1632 |
Ur werz nevez
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Une chanson nouvelle
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A new song
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NOTES du Professeur PIERRE LE ROUX: Chansons de clercs écrites et orales "Les chansons bretonnes, recueillies au 19e siècle, où figurent des « clercs » d'origine paysanne, sont nombreuses. Après Souvestre, dans ses "Derniers Bretons", A. Le Braz, dans son "Introduction aux "Soniou Breiz-Izel", a bien montré la place importante du clerc dans le folklore breton. S'il n'était pas nécessairement un futur prêtre, il était toujours considéré comme pouvant le devenir ; pendant son séjour, aux vacances, dans le milieu familial, une idylle pouvait se nouer que brisait le plus souvent une vocation qui s'affirmait, ou la volonté des parents. D'où ces séparations parfois tragiques qui sont le sujet de bien des chansons bretonnes. La ressemblance, dans la forme, de cette chanson avec les chansons de tradition purement orale est frappante. Certains détails sont les mêmes ; celui de la bague et du mouchoir, donnés comme gages d'amour et réclamés par la jeune fille, est fréquent ; on peut comparer avec les vers 17 et suivants de notre chanson ce passage des Soniou de Luzel, I, p. 266 (chanson recueillie à Paimpol en 1883 ; les deux interlocuteurs sont d'abord la jeune fille, puis le clerc) :
Cf. Collection Penguern, 89, p. 45: le même détail se retrouve dans des chansons sur feuilles volantes. Mais c'est surtout la composition même de notre chanson qui est identique à celle des chansons de tradition purement orale : - même présentation dramatique, avec un emploi presque exclusif du dialogue ; - la chanson commence, sans préambule, avec les reproches de la jeune fille ; - même effacement de l'auteur." Traditions orales et feuilles volantes Mais cette « chanson nouvelle » me semble offrir un intérêt plus général. Quand on étudie l'ensemble des chansons populaires bretonnes, on est frappé par la différence qu'il y a entre les chansons de tradition purement orale et les chansons sur feuilles volantes., la plupart imprimées au XIXe siècle, et dont les auteurs sont souvent connus. Particularités des chansons de clercs "La ressemblance des chansons de tradition purement orale avec notre chanson du XVIIe siècle permet de supposer qu'elles sont beaucoup plus anciennes...et qu'elles ont pu être composées par des gens d'origine paysanne, mais d'un certain degré de culture: l'exemple d'un Yves Le Patezour, notaire, s'intéressant aux chansons populaires confirmerait cette vue. Il en est de même de celles qui ont trait à leurs aventures sentimentales ou autres. « Combien il est déshonnête de voir un prêtre quitter sa soutane pour danser et lutter, et un religieux son froc, ou de les voir danser avec ces vêtements, comme il est certain qu'ils le font, parce qu'ils sont fous, ou complètement ignorants de ce qui convient à leur état et qualité... ». Au siècle suivant, dans son Dictionnaire, Dom Le Pelletier fait venir, bien bizarrement: «Cloarec de Clôar, Glohar= tiède ; et cette épithète a pu être donnée par dérision aux jeunes ecclésiastiques qui ne sont pas assez fervents au service de l'Eglise»." Chanson de clerc en latin "Yves Le Patezour nous a laissé un témoignage de la place que tenaient dans les collèges ces idylles de jeunesse, dans une chanson en latin qui me paraît d'un certain intérêt pour l'histoire de la chanson bretonne. [Au dos d'une pièce de procédure figurent ] des vers octosyllabiques rimes, en latin, se suivant deux par deux sur la même ligne, sans doute pour gagner de la place ; diverses fautes semblent dues à la lecture difficile d'un modèle ou à la précipitation du copiste ; l'écriture est négligée.
Les vers [F et G], je crois, ne se rattachent pas à cette pièce, quoiqu'inspirés par les mêmes préoccupations." Le "Cloarec du bord de l'étang" des Sonioù Breizh-Izel "Ne sont-ce pas des confidences tout-à-fait semblables que fait, en breton cette fois, le « jeune Cloarec du bord de l'étang » des Soniou Breis-lzel I? 324 (Chanson recueillie à Pleudaniel, à 8 kilomètres de Pleubian, en 1888) ?
Il sera donc prêtre ; la jeune fille en meurt ; mais au contraire du clerc de notre chanson le « jeune clerc » en aura grand chagrin, et, dans une des versions recueillies, en mourra, lui-aussi." La datation des chants de tradition orale "D'après tout ce qui précède on peut supposer que l'inspiration et souvent la composition de beaucoup de chansons de tradition purement orale, recueillies au xixe siècle, remontent beaucoup plus haut, et que certaines d'entre elles ont pu être composées dans le pur esprit populaire par des auteurs d'origine paysanne de quelque culture, parfois par des clercs. Il ne faut peut-être pas non plus rejeter complètement cette idée qu'avec le temps s'opère une sélection qui préserve les œuvres d'un intérêt plus humain, sélection qui n'a pu se faire sur les œuvres plus récentes, et qui, pour des raisons évidentes, ne se produira plus." Him Sanct Sebastian, Hymne de St-Sébastien "On trouve encore dans les papiers d'Yves Le Patezour un feuillet ... dont le recto est occupé par une pièce de procédure dressée le 8 décembre 1614 « en la demeuranz de Henry Audren au bourg de Ploebihan... ». Ce Henry Audren est sans doute le notaire prédécesseur d'Yves Le Patezour... Ont également disparu tout ou partie des derniers mots de la première strophe ; les parties facilement restituées figurent entre crocliets dans le texte ci-après. La pièce est inachevée.
On peut remarquer dans le texte quelques traits du dialecte de Tréguier ... La date de cette copie se situe entre 1614 et 1632 ; Saint Sébastien est invoqué contre les maladies contagieuses; or il y a eu en Bretagne au xvne siècle de terribles épidémies, particulièrement de 1620 à 1640." [Cf. à ce sujet le chant du Barzhaz La Peste d'Elliant] A propos de Pierre Le Roux Bretonnant de Plouëc, près de Pontrieux, le Professeur Pierre Le Roux (1874-1975) a occupé la chaire de celtique (créée en 1903) à l'Université de Rennes depuis 1911. Son nom reste attaché à l'Atlas linguistique de la Basse-Bretagne, dont la parution en six fascicules s'échelonna sur quarante ans, de 1924 à 1963. Ses investigations portèrent sur 77 localités. Il refusa de participer à la réunion de linguistes qui le 8 juillet 1941 adopta comme écriture devant servir à l'enseignement de la langue bretonne, l'écriture KLTG. En 1945, son successeur à la chaire de celtique (qui sera transférée à Brest en 1978) sera l'Abbé Falc'hun (1909-1991) qui défendra une autre orthographe, dite "skolveurieg" (universitaire). On ne peut cependant que se féliciter que l'orthographe KLT dont l"élaboration remonte aux travaux de Le Gonidec (1775-1838), de François Vallée et Emile Ernault (1908), du chanoine Pierre Le Goff (1911), de Xavier de Langlais '1936) etc.semble s'être définitivement imposée, malgré les circonstances malencontreuses de son adoption officielle. |
NOTES by Professor PIERRE LE ROUX: Written and oral "Kloarek songs" "Breton songs, collected in the 19th century, featuring "kloer" (clerics) of peasant origin, are numerous. After Souvestre, in his" Last Bretons ", A. Le Braz, in his" Introduction to "Soniou Breiz-Izel", has clearly shown the important role played by clerics in Breton folklore. If they would not necessarily be ordained as priests, they always were considered to be able to be; during their stays, at holidays, in their family environment, idylls could be formed that most often a vocation that asserted itself would break. Some times it was the will of the parents. Hence these sometimes tragic separations which are the subject of many a Breton song. The formal resemblance of this song with the songs of purely oral tradition is striking. Some details are the same: the ring and the handkerchief, given as pledges of love and claimed back by the girl, are usual props in these little tragedies; we can compare with verses 17 and following of the song at hand this passage from "Soniou Breiz Izel" by Luzel, I, p. 266 (a song collected in Paimpol in 1883; the two interlocutors are first the girl, then the clerk):
See Penguern Collection, 89, p. 45: the same detail is found in broadside songs. But in the present case, it is the very composition of our song which is identical to that of songs belonging to purely oral tradition: - same dramatic structure consisting almost exclusively of a dialogue; - the song begins, without preamble, with the girl's reproaches; - same anonymity of authorship." Oral traditions and broadside sheets But this "New ballad" seems to me to offer a more general interest. When we study Breton folk songs as a whole, we are struck by the difference between the songs of purely oral tradition and the songs on broadside sheets. Most songs of the latter class were printed in the 19th century, and their authors are often known. Particularities of the kloarek songs "The resemblance of songs strictly pertaining to oral tradition with the present 17th century song makes it possible to surmise that they are very old ... and could have been composed by country people with a certain degree of culture. The example of this notary Yves Le Patezour, who was evidently interested in popular songs would confirm this view. The same applies to those which relate their love affairs or other adventures. "How dishonest it is to see a priest remove his cassock to dance or wrestle, or a cleric undo his frock, or worse, to see them dance in their ecclesiastical attire, as we know for sure they do, because they are crazy, or completely ignorant of what suits their condition and quality ... " In the next century, in his Dictionary, Dom Le Pelletier explainrd very strangely: the word “Cloarec" (Cleric) as related to "Clôar, Glohar"="lukewarm"; and this epithet could have been given in derision to young ecclesiastics who are not fervent enough in the service of the Church." Kloareg song in Latin "Yves Le Patezour has left us a testimony of how important these idylls were for young college students, in a Latin lament which seems to me to be of the highest interest for the history of Breton song. [On the back of a procedural document appear] octosyllabic verses, in Latin, arranged two by two on the same line, probably to save space; various faults seem to be due to the difficult reading of a model or to the great haste with which the copyist put the text down in an untidy writing.
I doubt that verses [F and G] are related to this piece,though they are inspired by the same concerns." Sonioù Breizh-Izel's "Cloarec by the pond" "Thoroughly similar little secrets are confided to us, in Breton this time, by the" Young Cloarec by the Pond " in Luzel's "Soniou Breis-lzel", Part I, page 324 ( a song collected at Pleudaniel, 8 kilometers away from Pleubian, in 1888)."
He will therefore become a priest, causing the poor girl to die; but unlike the cleric of our song, the "Young Cleric by the Pond" will be very sorry for it, and, in one of the versions collected, he will die, too. " Dating the songs belonging to oral tradition "From all of the above we may infer that the inspiration and often the composition of many songs of genuine oral tradition, collected in the nineteenth century, reach back much further, and that some of them may have been composed in a pure popular style by educated authors of country origin, sometimes even by clerics. It is perhaps not necessary to reject completely the idea of a selection taking place, as time goes by, which preserves works providing deeper insight in human mind, a selection which could not be obtained with more recent works, and which, for obvious reasons, will not in a future. " Him Sant Sebastian, Hymn to Saint Sebastian "We still find in Yves Le Patezour's papers a sheet ... the front of which is occupied by a procedural deed drawn up on December 8, 1614 " at the home of Henry Audren in the village of Ploebihan ... ". This Henry Audren is undoubtedly Yves Le Patezour's predecessor in his notary's office ... All or part of the last words of the first stanza have also disappeared; the easily restored parts appear in crocliets in the text below.
We can spot in the text some traces of Tréguier dialect ... This copy is dated between 1614 and 1632. San Sebastian is invoked against contagious diseases. Now there were terrible epidemics in Brittany in the seventeenth century, particularly between 1620 and 1640. " [Cf. on this subject the Barzhaz song Plague in Elliant] About Pierre Le Roux A Breton speaker born at Plouëc, near Pontrieux, Professor Pierre Le Roux (1874-1975) has occupied the chair of Celtic (created in 1903) at the University of Rennes since 1911. His name remains attached to the 'Linguistic Atlas of Lower Brittany' , whose publication in six fascicles spread over forty years, from 1924 to 1963. His investigations covered 77 localities. He refused to participate in the meeting of linguists who on July 8, 1941 adopted as spelling system for the teaching of the Breton language, the KLTG writing. In 1945, his successor to the Celtic chair (which was to be transferred to Brest in 1978) was Abbé Falc'hun (1909-1991) who defended another spelling system known as "skolveurieg" (university spelling). We can however only be thrilled at the thought that the KLT spelling, the elaboration of which dates back to the works of Le Gonidec (1775-1838), François Vallée and Emile Ernault (1908), Canon Pierre Le Goff (1911), Xavier de Langlais' 1936) etc. seems to have definitively imposed itself, despite the unfortunate circumstances of its official adoption. |