La Villemarqué s'est intéressé au personnage de Merlin en deux occasions: dans le Barzhaz Breizh où il lui consacre quatre chants et dans un ouvrage paru en 1861 intitulé "Myrdhinn ou l'Enchanteur Merlin". Dans cette seconde étude il tente la redoutable gageure d'interprêter les 74 prophéties de Merlin selon Goeffroy de Monmouth...
Son développement sur le rôle historique que joua ce texte, par exemple pendant le procès de Jeanne d'Arc et sur sa postérité littéraire est particulièrement original.
MERLIN DANS LE BARZHAZ BREIZH
Le texte maintenu dans les trois éditions est en noir. /
Le texte supprimé en 1845 est en italiques. /
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Le texte ajouté en 1867 est en vert. /
Les parties des notes entre crochets [ ] sont mes propres remarques.
INTRODUCTION DE 1839, 1845 ET 1867
II Les anciens bardes de Basse Bretagne [Taliésin et Gwenc'hlan]
Taliesin [barde de Basse-Bretagne!]
16. De ce nombre fut Taliesin, qui prend le titre de prince des bardes, des prophètes et des druides de l’Occident [21]. Les anciennes annales des Bretons du continent, comme celles de l’île de Bretagne, le font vivre au pays des Vénètes, près de l’émigré Gildas, ancien barde lui-même, qui passe pour l’avoir converti au christianisme [22].
[21] Myvyrian t.I. p. 26, 30, 34.
[22] Venit (Taliesin) enim noviter de partibus Armoricanis,
Dulcia quo didicit sapientis dogmata Gildae. (Vita Merlini [Caledoniensis], p. 28.)
[En effet Taliesin venait juste d'arriver du coin de Bretagne où Gildas lui avait enseigné ses doux préceptes de sagesse]
Recherche sur l'histoire et les ouvrages de Gwenc'hlan [Gwenc’hlan devin, agriculteur et barde]
32. Quant aux autres analogies qui existent entre ce chant (Diougan Gwenc’hlan) et les œuvres des bardes cambriens, nous renvoyons le lecteur aux notes du chant lui-même. Toutefois, nous ne pouvons nous dispenser de signaler dès à présent deux traits frappants qu’il a de commun avec ces poésies:
Nous voulons parler de l’esprit prophétique et national qu’il respire.
Puis, à l’exemple des druides dont les hymnes guerriers soutenaient le courage des Gaulois compagnons de Vindex, en leur prédisant la victoire, à l’exemple de Taliesin et de Merlin pronostiquant la ruine de la race saxonne et le triomphe des indigènes;
Poésie druidique et poésie chrétienne [Gwenc’hlan, Merlin-Devin, Loiza ]
34. …il en cependant deux autres [documents] que nous pourrions citer encore :[ils] ont probablement subi, comme le chant de Gwenc’hlan, l’influence de notre poésie ; l’un a pour sujet « Merlin-le-Devin» et l’autre une magicienne appelée Loïza [Héloïse], nous semble révéler la lutte qui a dû exister entre les vieux dogmes druidiques et les doctrines chrétiennes au berceau, et se rapporter aux siècles où cette lutte eut lieu.
L’un des morceaux conservés par la tradition nous montre le barde Merlin suivi d’un chien noir en quête d’objets sacrés pour les druides : une voix l’apostrophe et l’arrête impérieusement, en lui adressant ces paroles qu’on retrouve dans plusieurs chants des anciens bardes gallois : « Dieu seul est devin ».
… Au moment où la sorcière vient de couronner son épouvantable apothéose, en s’écriant : « Si je passais sur terre encore un an ou deux, je bouleverserais l’univers, » une voix semblable à celle qui s’est fait entendre à Merlin lui adresse cette sublime apostrophe : « Jeune fille ! Jeune fille ! Prenez garde à votre âme ; si ce monde vous appartient, l’autre appartient à Dieu ! »
35. La même lutte ayant eu lieu en Irlande entre le druidisme et le christianisme, les mêmes souvenirs poétiques en sont restés dans la mémoire des poètes populaires. On a publié un dialogue entre Ossian et saint Patrice, où l’apôtre de l’Irlande s’efforce pareillement de détourner le barde de ses vieilles superstitions [39].
La « Prédiction de Gwenc’hlan », « Merlin-le-Devin » et « Loïza » semblent appartenir à l’ancienne poésie druidique par le fond et même quelquefois par la forme, bien que... les chanteurs populaires aient mêlé, dans le dernier morceau, quelques traits chrétiens à un ensemble d’idées païennes.
Nous pourrons encore trouver çà et là des principes quelques éléments druidiques égarés au milieu de notre poésie bretonne, mais elle sera désormais chrétienne.
[39]. Miss Charlotte Brooke (1740-1793), Reliques of Irish Poetry, p. 73.
V Les éléments constitutifs de la poésie populaire bretonne ["Merlin-Barde"]
5. a. Ainsi, dans les chants héroïques ou historiques, quand l’auteur de la ballade de Merlin nous le représente,
tantôt comme un devin puissant,
tantôt comme un barde malheureux qui fuit la compagnie des hommes, quoi de plus simple naturel?
Un des deux Merlin n’était-il pas surnommé « chef des enchanteurs » [66] ?
L’autre n’a-t-il pas écrit tout un poème sur ses malheurs et sur sa vie sauvage ?
Quand le poète fait allusion, dans le même morceau, à un chef breton armoricain, qui donne à sa fille le pays de Léon en dot, ne retrouvons-nous pas une preuve de cette donation dans une charte du onzième siècle [Charte d’Alain Fergan] [67] ? Quand il fait offrir en présent avec des pelleteries, des colliers d’or aux chefs bretons nobles, par cette distinction honorifique, ne les place-t-il pas, à l’exemple du barde Aneurin [68], son contemporain, au-dessus des guerriers vulgaires ordinaires ?
[66]. Myvyrian, t. I, p. 79.
[67]. Carta Alani Fergan, ap D. Morice, Histoire de Bretagne, t. I, col. 707. V. Merlin-Barde, notes, p. 125.
[68]. Myvyrian, t. I, p. 4.
VI Le merveilleux dans la poésie populaire bretonne [Le "duz"]
Les nains
[aussi appelés] « duz » ou lutin.
Ce dernier nom est celui du père de Merlin et d’une ancienne divinité adorée dans le comté d’York par les Bretons, qui la redoutaient fort, s’imaginant qu’elle pouvait surprendre les femmes dans leur sommeil.
Le second [chant mythologique] est relatif à la naissance de Merlin et offre le germe évidemment développé par les romanciers du moyen âge...
MERLIN
I Argument [commun aux 4 poèmes]
[1. Les deux bardes: le devin d'Ambroise-Aurélien et l'insensé d'Ardfderydd ]
[On a longtemps cru que] deux bardes ont porté le nom de Merlin [1] :
l’un, selon des poésies galloises antérieures au dixième siècle, eut pour mère une vestale [2] [chrétienne], et pour père, selon Nennius et Gildas, un consul romain [3] ; il vécut au cinquième siècle sous le règne d’Emreis-Aurel, et passa pour le premier des devins de son temps[4].
L’autre, si ses poésies ne cachent pas un sens figuré, nous apprend lui-même qu’ayant eu le malheur de tuer involontairement son neveu, à la bataille d’Arderiz où il portait le collier d’or, marque distinctive des chefs cambriens, il perdit la raison, s’exila du monde et se retira dans la forêt de Kelidon (vers 577).
« Je suis, dit-il, un sauvage en spectacle aux hommes ; j’inspire l’horreur ; je n’ai point de vêtements.... personne ne m’honore plus. Les plaisirs fuient loin de moi. Les dames ne viennent plus me visiter. Quoique je sois aujourd’hui dédaigné par celle qui est belle comme le cygne de neige au combat d’Arderiz, j’ai porté le collier d’or.... Jésus ! Pourquoi n’ai-je pas péri le jour où j’ai eu le malheur de tuer de ma propre main le fils de Gwendiz ma sœur ? Infortuné que je suis! le fils de Gwendiz est mort, et c’est moi qui l’ai tué [5] !»
[1] Les Gallois écrivent Merddyn et Myrdin, Myrdhin, Merdhyn et Myrdin et prononcent à peu-près Merzlin, les Armoricains, Marzin.
[2] Ann-ap-lean, « le fils de la nonne » (Myvyrian, t. I, p. 78). Gildas [(in Breviario)]. Nennius traduit « lean » par vestalis.
[3] « Unus de consulibus Romanorum pater meus est. » (Nennius. Ed. De Gunn, p. 72, et Gildas, cit. de M. F. Michel, in Vita Merlini Caledoniensis, intr.)
[4] Prif Zewin Merddin-Emreis. {Myvyr., t. I, p. 78.)
[5] Avallenaou Merddin. (Myvyrian, t. I, p. 152, 153.)
[2. La bataille d'Arfderydd]
La bataille d’Arderiz est mise, par les Triades galloises, au nombre des trois frivoles batailles de l’île de Bretagne. Quatre- vingt mille hommes y périrent à propos d’un nid d’alouettes [6]. Selon les mêmes autorités, Merlin encourut une grande haine à l’occasion de ce désastre, dont il fut, à ce qu’il paraît, la cause. Comme nous l’avons vu, il en fut aussi la victime, car il y perdit, outre son neveu et la raison, quarante-neuf pommiers de son verger sur cent quarante-sept qu’il avait, dit-il ; dernière perte qui semblerait ne lui avoir pas été moins sensible que la première, et n’avoir pas moins influé sur son esprit.
Quelques antiquaires anglais, frappés de ces bizarreries, et n’ayant pu, d’ailleurs, parvenir à trouver de lieu appelé Arderiz, ont déclaré que la bataille de ce nom est imaginaire et qu’il faut y voir un mythe et des allusions dont nous avons perdu la clef.
[6] Myvyr., t. II, p. 63.
[Cependant, en février 1865 William Forbes Skene (1809-1892) annonçait à la société des Antiquaires d'Ecosse qu'il avait découvert Arfderydd à Carwinley (interprété comme "Caer Gwenddolau", d'après le passage "entre Lidel et Carwanolow"du Scotichronicon" de Walter Bowe, 15ème s.) à côté de l'ancienne paroisse d'Arthuret, au au confluent du Liddlesdale et de l'Eskdale au nord de Carlisle.
Dans les Annales de Cambrie, la bataille d'"Armterid", peut-être l'ancien nom du "Carwinley Burn" (ruisseau), est datée de 573.
Les chefs des deux camps étaient des Bretons du Nord et c'est dans le territoire de l'un d'eux, Gwenddolau qu'elle se déroula. Un homme fut traumatisé au point de s'enfuir dans la forêt. C'était le début de la légende de Merlin]
[3. Le druide Merlin: extraits des "Afallennau"]
D’autres sont allés plus loin et ont vu dans Merlin un Druide pleurant la chute de ses bois sacrés de pommiers, moissonnés par la hache ennemie et envahis par les profanes. Les vers qu’on va lire sont les autorités sur lesquelles ils s’appuient :
« Fut-il jamais fait par l’homme, dit le barde, un présent semblable à celui qui fut fait a Merlin avant sa vieillesse : sept pommiers et sept vingts de plus, de même âge, de même hauteur, de même étendue, de même grandeur [7]. Ils s’élevaient sur le versant de la montagne ; leurs branches étaient couvertes de feuilles verdoyantes ; une jeune fille aux cheveux flottants les gardait ; Rosée était son nom, rosées étaient ses dents [8].
Pommiers superbes ! Ô vous dont on aime l’ombre et les fruits, dont on admire la beauté ! Les princes et les chefs trouvent mille prétextes de venir profaner mon verger solitaire ; ainsi font les moines menteurs, gloutons, méchants, et la paresseuse et babillarde jeunesse, tous se jettent avec avidité sur mes pommes, pensant qu’elles leur feront prédire les exploits de leurs rois [9]. »
Les Bretons du pays de Galles ont de ce barde plusieurs morceaux de poésie dont l’authenticité est reconnue ; ils ne paraissent pas en avoir de l’autre Merlin. Les Bretons d’Armorique n’en ont ni de l’un ni de l’autre, mais seulement quelques chants populaires qui les concernent. Nous allons en mettre deux échantillons sous les yeux de nos lecteurs.
[7] A rozez éneb den un pléjent
A roed da 1raitorous he henent ?
Seiz avalen-bren ha seiz ugent
Enn gef oad, gef uc’h, ge hed, gemment.
[8] Glouiz he hano, glouiz he dent.
[9] Myvyrian, t. I, p. 152.
[4. La triple tradition: mythologique, historique et légendaire]
Aujourd’hui les critiques s’accordent à voir dans le personnage de Merlin le héros unique d’une triple tradition, où il apparaît comme un être mythologique, historique et légendaire.
Qu’il me soit permis de renvoyer le lecteur pour les preuves au livre que j’ai écrit sous le titre de MYRDHINN ou l’Enchanteur Merlin, son histoire, ses œuvres, son influence.
Les Gallois possèdent des poésies de ce barde, mais malheureusement rajeunies aux 12ème et 13ème s. dans un intérêt national.
Les Bretons d’Armorique ont seulement quelques chants populaires qui le concernent.
J’en ai retrouvé quatre débris altérés d’un cycle poétique dont de nouvelles découvertes combleront sans doute les nombreuses lacunes:
Le premier [1867] est une chanson de nourrice. Quoique Merlin n’y soit pas nommé, il s’agit évidemment de l’être merveilleux que son nom rappelle et de son origine mythologique ;
Le second fragment [1839] le représente comme un magicien ou un devin.
Dans le troisième [1839] qui est une ballade complète, il n’est plus que barde et joueur de harpe.
Le quatrième [1867] nous le montre converti par le plus aimable des saints bretons, le bienheureux Kadok ou Kado.
La chanson de nourrice fait raconter à Merlin enfant sa génération mystérieuse, par sa mère elle-même qui veut l'endormir.
II Notes [propres à chaque poème]
1. Merlin au berceau (1867)
Les quatre fragments qu’on vient de lire ont grand besoin chacun de commentaire. Sans répéter ici ce que j’ai dit dans un ouvrage spécial, je me contenterai d’éclairer les hauteurs du sujet.
On ne peut s’empêcher d’être frappé par l’accent païen qui éclate et triomphe auprès du berceau de Merlin. Il y a là un écho manifeste des anciennes croyances celtiques, un souvenir des superstitions de la Gaule, contre lesquelles la vraie religion a eu à lutter. Mais, à ce moment elles sont les plus fortes ; le Duz est vainqueur par ses maléfices de la vierge chrétienne, et le produit merveilleux de leur union fatale tient plus de son père que de sa mère ; il le défend contre elle ; il le bénit ; il s’annonce lui-même comme le bon génie de la nation bretonne.
2. Merlin devin (1839)
[Ce morceau nous présente le barde sous un jour nouveau : il serait assez difficile de déterminer s’il s’adresse à Merlin-Emreis,ou à Merlin le Sauvage, car il convient également a l’un et à l’autre.
En prenant, comme Davies, Merlin pour type du Druide, ce serait le Druide magicien qui nous apparaîtrait ici, avec les attributs de sa puissance.] Ce bon génie est en même temps un puissant magicien, un descendant des Marses, j’allais dire un Druide. En compagnie d’un chien noir ou d’un loup familier, dès l’aurore ; il parcourt les bois, les rivages et les prairies ; il cherche « l’œuf rouge du serpent marin ; » ce talisman, que l’on devait porter au cou, et dont rien n’égalait le pouvoir [10].
Il va cueillir le cresson vert, l’herbe d’or et le guy du chêne. L’herbe d’or est une plante médicinale ; les paysans bretons en font grand cas, ils prétendent qu’elle brille de loin comme de l’or ; de là, le nom qu’ils lui donnent. Si quelqu’un, par hasard, la foule aux pieds, il s’endort aussitôt, et entend la langue des chiens, des loups et des oiseaux. On ne rencontre ce simple que rarement, et au petit point du jour : pour le cueillir, il faut être nu-pieds, en chemise, et tracer un cercle à l’entour ; il s’arrache et ne se coupe pas. Il n’y a, dit-on, que les saintes gens qui le trouvent. C’est le sélage de Pline. On le cueillait aussi nu-pieds, en robe blanche, à jeun, sans employer le fer, en glissant la main droite sous la main gauche, et dans un linge qui ne servait qu’une fois [11].
Quant au gui [à la branche élevée, ce ne peut être que le gui], on sait combien il était vénéré des Druides.
Mais d’où vient cette voix ? Qui ose apostropher le barde avec ce ton d’autorité ? Serait-ce saint Colomban ? Serait-ce déjà le saint évêque auquel la tradition bretonne attribue la conversion de Merlin ? Cela peut être ; on a dit qu’il avait converti Merlin ; si l’on traduisait les mots distroet endro, par «convertissez-vous, » cette opinion pourrait ne pas manquer de vraisemblance ; au moins il est un fait excessivement curieux à constater, c’est que les paroles que le poète lui met dans la bouche se retrouvent dans trois pièces de poésie galloise, dont l’une est attribuée au barde Taliesin, les deux autres à Lywarc’h-Hen, et qui sont certainement de leur temps, sinon d’une époque antérieure : ces paroles, les voici :
Nement Don ne doez Devin [Hormis Dieu il n'est point de devin] [12].
Vers exactement semblable au vers de notre pièce, sauf le dialecte et l’interversion de l’ordre de la phrase.
Toutes ces remarques nous portent a croire que le fragment cité remonte au temps où le christianisme naissant luttait avec le vieux druidisme, comme nous l’avons dit dans l’introduction de ce recueil. Nous ne saurions expliquer le refrain iou ! iou ! C’est aujourd’hui un cri de joie ; il était aussi usité chez les Grecs et les Romains : les uns criaient : iov ! iov ! selon Aristophane, et les autres : io ! io !
Le chant qu’on va lire, et dont Merlin est encore le héros, doit être postérieur à celui que nous venons de citer.
[10] "Est ovorum genus in magna fama... Angues innumeri aestate convoluti salivis faucium corporumque spumis artifici complexu glomerantur: 'anguinum' appellatur ; Druidae id dicunt, etc." Plinius, I. XXIX.
[11] Id., lib. XIV.
[12] Myvyrian, t. I, p. 122, 124, et passim.
3. Merlin barde (1839)
Merlin a-t-il perdu, plus tard, sa puissance magique, le devin a-t-il été terrassé par un simple mot sorti d’une bouche chrétienne ? Quoi qu’il en soit
Dans cette seconde pièce, Merlin ne parait plus être devin ; cependant il est encore barde, car il en porte l’anneau d’or et la harpe [13]. Mais on lui dérobe cette harpe ; on lui arrache cet anneau ; on le joue, on le charme ; il marche nu-pieds, nu-tête ; il porte des vêtements en lambeaux ; il pleure ; il est vieux, il est homme. Et, si on le recherche encore, si le peuple pousse des cris de joie pour saluer sa bienvenue, s’il paraît a la cour des chefs, c’est en souverain détrôné.
Aussi, dès qu’il le peut, s’échappe-t-il. Cette disparition est attestée [par les poètes gallois] dans l’histoire réelle des deux Merlin. « Nul ne sait où est la tombe de Merlin-Emreis, » dit un barde dont les poésies sont antérieures au dixième siècle[14]. Il s’embarqua avec neuf autres bardes, disent les Triades, et on ne put parvenir à savoir ce qu’il devint[15]. Merlin le Sauvage nous apprend lui-même qu’il quitta la cour et s’enfuit dans les bois[16].
Notre ballade est aussi d’accord avec l’histoire les traditions galloises, en prêtant à Merlin un goût tout particulier pour les pommes et en le faisant tomber dans un piège où ces fruits sont l’appât. Il vénérait tellement, comme nous l’avons vu, l’arbre qui les produit, qu’il lui a consacré un poème :
« O pommier! s’écrie-t-il, doux et cher arbre, je suis tout inquiet pour toi ; je tremble que les bûcherons ne viennent, et ne creusent autour de ta racine, et ne corrompent ta sève, et que tu ne puisses plus porter de fruits à l’avenir [17]. »
D’autre part, au douzième siècle, un poète latin de Galles, Geoffroy de Monmouth, écho de la tradition de son temps, lui fait tenir ce langage : « Un jour que nous chassions, nous arrivâmes près d’un chêne aux rameaux touffus... A ses pieds coulait une fontaine bordée d’un gazon vert. Nous nous assîmes pour boire. Or, il y avait çà et là, parmi les herbes tendres, des pommes odorantes, au bord du ruisseau... Je les partageai entre mes compagnons. Qui les dévorèrent ; mais aussitôt ils perdent la raison ; ils frémissent, ils écument, ils se roulent furieux à terre, et s’enfuient, chacun de son côté, comme des loups, en remplissant l’air de déplorables hurlements.
« Ces fruits m’étaient destinés ; je l’ai su depuis. Il y avait alors en ces parages une femme qui m’avait aimé autrefois, et qui avait passé avec moi plusieurs années d’amour. Je la dédaignai, je repoussai ses caresses : elle voulut se venger ; et, ne le pouvant faire autrement, elle plaça ces dons enchantés au bord de la fontaine, où je devais revenir... Mais ma bonne étoile m’en préserva [18]. »
Peut-être est-ce cette même sorcière que veut désigner la ballade bretonne. Merlin le Sauvage parle lui-même dans ses poèmes d’une certaine femme versée dans les sciences magiques, avec laquelle il dit avoir eu des rapports [et qu’il appelle Churibleian ou la Sibylle , nom qui conviendrait à merveille à notre sorcière].
Le roi auquel le poète fait allusion dans notre pièce paraît être Budik, chef des Bretons d’Armorique, prince d’origine cambrienne, cornouaillaise émigré de l’île de Bretagne. Il combattit les Franks, et défendit vaillamment contre eux la liberté de sa patrie ; Clovis, n’ayant pu le vaincre, le fit assassiner (vers 509). Budik avait marié sa fille Aliénor à un prince qu’on ne nomme pas, et lui avait donné en dot plusieurs seigneuries sur les côtes de Léon. C’était, d’après la Charte d’Alan Fergan, la tradition populaire du onzième siècle[19] ; c’était aussi celle du quinzième [20], selon le Mémoire du vicomte de Rohan. Il y a lieu de croire que cette Aliénor est la Linor de la ballade, dont le nom aura été francisé au moyen âge ; que le jeune homme dont Merlin sanctionne et célèbre légalement l’union avec elle [21], et à qui il fait gagner la souveraineté du pays de Léon, n’est autre que le fils de la magicienne ; enfin que l’auteur de la Charte d’Alan Fergan et l’auteur du Mémoire du vicomte de Rohan connaissaient notre poème : en ce cas, ce poème serait le roman de l’histoire. L’époque où il a été composé nous semble assez difficile à déterminer. Tel qu’il est, il ne peut guère être contemporain de l’événement, et cependant il n’est certainement pas l’ouvrage des siècles de la grande chevalerie : il en porterait le costume. Tandis que le sien se rapporte à un âge moins civilisé. C’est ce qui nous induit à penser qu’il a subi les altérations qu’il offre du sixième au dixième siècle antérieurement à cette époque.
[13] « Le barde de la cour reçoit du prince une harpe, et do la reine un anneau d’or. » (Lois de Hoel-da, c. 49. Myvyrian, t. III.)
[14] Myvyrian, t. I. p. 77.
[15] Trioed enez Priden, ibid., t. III, s. 1.
[16] Myvyrian, t. I, p. 150.
[17] Ibid.
[18] Vita Merlini [Caledoniensis], p. 55.
[19] Vicecomes Leonensis protunc habebat quam plurimas nobilitates super navibus per mare Oceanum in costeriis Occisinorum, seu Leoniae navigantibus, quos, ut dicebatur, Budicius, quondam rex Britanniae, concesserat et dederat uni praedecessorum suorum in matrimonio. Carta Aluni Fergan, ap. D. Morice, et D. Lobineau, Hist. De Bretagne.)
[20] « Voix publique au païs est qu’iceluy debvoir (de Leon) fust par un prince baillié en dot et en mariage faict d’une fille du dict prince à un des antécesseurs du vicomte de Léon. » (Mémoire aux états — 1478 — ap. D. Morice, Histoire de Bretagne.)
[21] « Les bardes célebreront dans leurs chants les mariages de la nation bretonne. »
« Le chef des bardes aura une double part dans les dons royaux et dans les largesses faites à l’occasion du mariage de la fille du chef. » (Lois de Moelmud et Lois de Hoel-da. Myvyrian, t. III, p. 283 et 361.
4. Conversion de Merlin (1867)
Plus historique, la tradition de la conversion de Merlin remonte aux temps les plus reculés ; elle a été chantée par les bardes chrétiens des clans gaéliques, gallois et armoricains ; il est doux de croire avec eux que, dans son infortune et sa vieillessse, il trouva pour consolatrice la religion de sa mère ; une chose que notre poète omet de dire, c’est qu’il périt assassiné comme Orphée. Mais le peuple ne fait pas mourir de tels hommes.
Nous avons été mis sur la trace
[de ce chant et du morceau précédent [Merlin devin et Merlin barde] par une dame de Morlaix... Nous remercions notre aimable et modeste guide qui ne veut pas être nommée.]
du poème de Merlin par madame de Saint-Prix, qui a bien voulu nous en communiquer des fragments chantés au pays de Tréguier. C’est à l’aide de ces débris que nous avons retrouvé les pièces entières.
Il serait à désirer que ceux qui existent dans la collection de M. de Penguern vissent aussi le jour et vinssent, avec les précieuses découvertes de Gabriel Milin, compléter le cycle poétique de l’Enchanteur breton. Si, par sa forme rythmique et son style, il est moins ancien que d’autres, il accuse par le fond des idées une inspiration très primitive. Quoique l’air change à chaque morceau, et même le dialecte, je crois, vu l’uniformité du mètre, à l’unité de la composition originelle..
LES SERIES
I Les trois royaumes de Merlin
Les trois royaumes de Merzin paraissent correspondre avec la troisième sphère mythologique des traditions galloises, celle de la béatitude. Il est remarquable en effet,
d’une part, que ces traditions donnent le nom de "tombeau de Merzin" [1] au triple royaume de Loegrie (l’Angleterre), de Cambrie (le pays de Galles) et d’Alban (l’Ecosse), qui forment l’Ile de Bretagne ; d’une autre, que les Armoricains du sixième siècle faisaient de cette même île le séjour des âmes bienheureuses [2].
Le Merzin, auquel sont soumis les trois royaumes célestes dont il est ici question, n’est, on le sent bien, ni le barde guerrier de ce nom, ni le devin qui nous occuperont plus tard : je serais porté à voir en lui le dieu que les Gaulois adoraient comme l’inventeur de tous les arts, comme le génie du trafic, et que César, trompé par une similitude de nom [2] et d’attributs, identifie avec le Mercurius romain.
[1] "Klaz Merzin". (Myvyrian, Arch. Of Wales, t. II, p. 2.)
[2] Procope, de Bello gothico, lib. IV, c. xx.
I Les quatre merveilleuses pierres à aiguiser
Les quatre merveilleuses pierres à aiguiser que le poète armoricain lui prête se réduisent à une seule dans les traditions galloises, qui les mettent au nombre des treize talismans dont Merzin fit présent aux Bretons. « Cette pierre, disent-elles, vint en héritage à Tidno Tedgled, fils de Jud-Hael, chef armoricain. Il suffisait d’y passer légèrement les épées des braves pour qu’elles coupassent même l’acier ; mais loin d’aiguiser celles des lâches, elle les réduisait immédiatement en poussière. De plus, quiconque était blessé par la lame qu’elle avait aiguisée mourait aussitôt [3]. »
[3] Jones, Bardic musœum, n° 47.
III Poèmes des pommiers et des marcassins
Deux poèmes mythologiques de Merzin compléteront ces témoignages. Le premier est intitulé « la Pommeraie ; » le second a pour titre « les Marcassins. » Ces animaux figurent dans l’un et dans l’autre, et le barde les instruit, absolument de la même manière que le vieux sanglier instruit ceux du poème armoricain. L’épithète d’intelligents et d’éclairés qu’il leur donne, le nom de sanglier et de poètes des sangliers, dont d’autres bardes gallois du sixième et même du treizième siècle s’honorent, ne permettent pas de se méprendre sur le sens naturel de l’expression métaphorique employée par Merzin. C’est évidemment à ses disciples bardiques qu’il s’adresse.
« Pommiers élevés sur la montagne, dit-il, dans une invocation aux arbres sous lesquels il instruit son élève ; ô vous, dont j’aime à mesurer le tronc, la croissance et l’écorce ; vous le savez : j’ai porté le bouclier sur l’épaule et l’épée sur la cuisse ; j’ai dormi mon sommeil dans la forêt de Kelidon [4] ! »
Puis s’adressant à son disciple, il ajoute : «Écoute-moi, cher petit marcassin,- toi qui es doué d’intelligence, entends-tu les oiseaux ? Comme l’air de leurs chants est gai [5] ! »
Ailleurs, il l’instruit et, chose digne de remarque, chacune des strophes de sa leçon commence par la formule doctorale qu’on vient d’entendre, de même que chacune des parties de la leçon de notre druide à son élève débute par les vers impératifs qu’on a lus
« Ecoute-moi, cher petit marcassin, dit-il, petit marcassin intelligent, ne va point fouir à l’aventure, au haut de la montagne ; fouis plutôt dans les lieux solitaires, dans les bois fourrés d’alentour... »
Sans insister davantage, je conclus que le symbole étrange du chant armoricain cache la même réalité humaine que celui des poèmes gallois, qu’il désigne les disciples des Druides.
[4] Myvyrian, t. I, p. 150.
[5] Ibid., p. 153.
MYRDHINN OU L'ENCHANTEUR MERLIN (1861)
INTRODUCTION
Publication retardée à cause d’un ouvrage intitulé « Merlin l’enchanteur » (1860) d’Edgar Quinet (1803-1875) [La Villemarqué passe sous silence une autre indélicatesse littéraire: il a lui-même emprunté aux commentaires en latin de Francisque Michel, l'éditeur, en 1837, de la "Vita Merlini" de Geoffroy de Monmouth - qu'il appelle "Caledoniensis" -, l'essentiel du contenu de son propre ouvrage] , bien que La Villemarqué ait commencé ses investigations bien plus tôt, dans les lieux désignés par la littérature:
Pontrieux (au nord de Guingamp) : tombeau de Merlin selon l’Arioste;
Forêt de Brocéliande: Paimpont (son article « Visite au Tombeau de Merlin » sur le « Val des Fées »), la forêt de Baranton, le perron de Merlin, cités par lui-même dans La « Revue de Paris » du 7 mai 1837;
puis en Angleterre, à Marlborough, suivant une indication donnée par Spencer, l’auteur de la « Reine des fées »;
puis en « Cambrie » à Bardicia (Bardsey Island) près de Nevyn ;
enfin en Ecosse où l’on tient « la Calédonie pour la forêt de Brocéliande, Drum-Melziar (Drummelzier au confluent de la Tweed et du Powsail Burn) pour le perron de Merlin, et la Tweed pour la vallée de Concoret ».
Saint-Patrice (Patrick) voulant connaître l’histoire de l’Irlande, consultait une vielle femme. Celle-ci informa aussi Myvyr en Cambrie ainsi qu’un savant cornouaillais au XVIIIème siècle et Walter Scott en Ecosse :
la Tradition celtique qui écrivit l’histoire mythologique, réelle, légendaire, poétique et romanesque de Merlin.
Cet exposé est suivi d’une étude des œuvres attribuées à Merlin
et de celles qu’il a inspirées.
LIVRE I: LA TRADITION
Merlin personnage mythologique (L'héritier de Marsus, les trois royaumes)
Le guérisseur, fils d'une vierge et d'un esprit
Guérisseur: Le petit fils du soleil Marsus, fils d’un génie et de la déesse de la magie (Circé) qui régnait sur l’île d’Hespérie, était herboriste et guérissait les morsures de serpents était vénéré par les « Marsi » des Pouilles (Pline l'Ancien (+23 - 79), "Histoire Naturelle", livre VII, ch. II). Ces «Marses» étaient des guérisseurs, prototypes du « Marthin ou « Marzhin » breton.
Né d'une vierge: A la fin de l’époque païenne on pensait que les lares et les esprits familiers protégeaient les nouveau-nés (Servius,"Commentaires sur Virgile, fin du 4ème siècle), mais aussi qu'ils cherchaient à s’unir aux jeunes filles (Saint Augustin 354-430, la "Cité de Dieu", 15, 23) et donnaient naisssance à des "Néphilim" (Génèse,[6, 4: "En ce temps-là (et même par la suite), des géants vivaient sur la terre. Lorsque les "fils des Dieu" s'unissaient aux filles des hommes et qu'elles leur donnaient des enfants. Ce sont là les héros si fameux des temps anciens". Il en est question également dans le "Livre de Job", 1.6 et 2.1]).
La vierge des Carnutes fut aussi mère d’un dieu. [Par exemple, Sébastien Rouillard dans "Parthénie, ou histoire de la très auguste ... église de Chartres, dédiée par les vieux druides en l'honneur de la Vierge qui enfanterait" (1609) indique que la tradition biblique de la "Virgo partitura" et la religion druidique se rejoignaient, selon lui, dans une même préscience de la venue du Christ. De même le capucin Jacques Boulduc dans ses "Trois Livres" de 1626 et le jésuite Pierre Lescalopier dans son "Humanité théologique" de 1660].
Cet esprit géniteur était appelé « Duz » (Saint Isidore, St Augustin).
Suit la traduction française de « Breman trizek miz ha teir zun » (texte breton à la fin du volume).
Double nature: A propos du mot « Marz », comme les « marses », Merlin devin cherche les œufs de serpent, le gui, le cresson, l’herbe d’or et il s’appelle Marzhin (Barzhaz de 1839).
Geoffroy de Monmouth (c.1130): « Les savants le disent habités par une divinité – Existimantes numen esse in illo »; la "Myvyrian Archaeologia" en fait « un véritable saint national - Myrdhin breiniol sant y cyffredin »,
La "Vie de Saint Patrick" selon les Bollandistes indique que "Merlin se disait lui-même dieu : Se Deum asserens » et le "Roman de Lancelot" (ou "Lancelot-Graal" ou "Lancelot en prose" attribué -à tort- à Gautier Map, 1140-1210) que « Tuit li plus haulz hommes l’appeloient le sainct prophète et toutes les menues genz leur dieu ».
Comme Taliesin: Autre « Marse » : Taliesin, esprit de l’air incarné.
« My yw rhyfeddod, ni wyr neb fy hanfod
– Je suis un être merveilleux dont nul ne connaît l’origine/
Ioannes Dewin am gelwis i Myrdhin
- Jean le prophète m’appelait Myrdhin/
Yspryd ar swm dyn bach
- un esprit sous les traits d’un enfant. »
(Myvyr, "Hanes Taliesin") : donc un « Myrddin », comme un « marsus » romain, désignait une divinité particulière revêtue de la nature humaine.
Les trois royaumes, l'épée, la disparition
En Armorique, Marzin possède trois royaumes :
- Dans le ciel : fleurs, fruits, enfants qui rient.
- Sur terre son royaume est l’Île de Bretagne qui portait son nom, selon les Gallois ("Clas Merdin" [Expression tirée de la "Triade des noms de l'ïle de Bretagne", Livre Blanc de Rhydderch, 14ème siècle: "Le premier nom de l'Île fut "Clas Merdin", puis l'"Île de miel", puis après sa conquête par Prydan, fils d'Aedd le Grand, le nom d'"Île de Bretagne" lui fut donné”. “Clas”= “Closerie”, “Merdin”=”Moridunum”: le fondateur de la ville de Carmarthen protégeait l'île entière. On date cette triade d'avant 1130]).
- Il régnait aussi sur un monde sous-marin plongé dans un crépuscule perpétuel.
L’épée magique
Habile forgeron il créa l’épée magique que seules certaines pierres pouvaient aiguiser : celles de Léménik le bondissant, d’Uter Penn-Dragon et d’Arthur, l’ours.
Il quitta la terre aussi mystérieusement qu’il y était venu : Bollandistes (Saints d'Irlande) : « E sublimi corruit confractusque interiit" : il tomba du ciel , se fracassa et mourut ». [Créée par Jean Bolland au 16ème s., la Société des Bollandistes regroupe des savants, exclusivement Jésuites jusqu'en 2000, chargés d'étudier les vies, et plus généralement le culte, des saints chrétiens].
Pour les Gallois, il s’éloigna sur la mer.
Merlin personnage historique (prophète, guerrier, poète et païen converti)
Le prophète Ambroise (selon Gildas)
Un ami d’Ovide, Domitius était surnommé Marsus.
Entre 470 et 480 naquit en Grande Bretagne un nommé Ambroise dans la vallée de Basalig en Galles, fils d’un consul romain et d’une vestale (selon le Bréviaire de Gildas, c.500 -570).
« Le tyran vaniteux Guortigern et tous ses conseillers, frappés de cécité – Omnes consiliarii, una cum superbo tyranno Gurthrigerno, Brittanorum duce, caecantur », avaient livré la Bretagne aux Saxons.
Embreiz Guledig (Ambroise Aurélien) parvint à libérer pour 40 ans:
le Sommerset, le Devon,les presqu’îles de Cornouailles et de Galles,
qui avec les pays de Cumberland, Clyde et Annan,
ainsi que l’Armorique,
formèrent une nouvelle et triple patrie bretonne.
Il fut aidé de bardes tels que Taliesin, Aneurin et Llywarch Hen. (cf. « Les Bardes Bretons » de LV.).
Ce chef romain avait un barde appelé lui aussi Ambroise, peut-être baptisé, mais magicien sujet à tomber en catalepsie ou »Awenyddion », un mal que les Bretons d’aujourd’hui appellent « Drouk-Varzhin » (mal de Merlin). Cet enfant sans père n'était pas un cas isolé:
Aneurin était inspiré par un esprit incube appelé « Meler ».
Taliésin avait la même prétention.
Giraud de Barri (Giraldus Cambrensis, 1145-1220, lettré latin, compagnon de Henri II à qui il sert de guide lors d'un voyage au pays de Galles en 1188, pour recruter des participants à la IIIème croisade), pense que les prophéties de Merlin, fils d’un démon incube étaient inspirées, non par l’Esprit saint, mais par une (diabolique) pythonisse locale : « Eum potius pythonico spiritu loculum esse plerique conjectant ».
Ceci explique l’animosité de Merlin envers les moines : vol de troupeaux, église incendiée, évangile déchiré feuille à feuille et jeté à l’eau par Merlin.
[La référence "Myvyr. T.2, p.132" correspond au premier chant d'Yscolan dans le Livre Noir de Carmarthen ("Du dy varch, du dy capan... Noir ton cheval, noire ta cape..."). Dans la "Myvyr."
elle ouvre un chapitre "Caniadau Myrrdin" (Chants de Merlin) et est intitulée "I. Yscolan Myrrdin Wyllt ai cant" qui signifie sans doute "I. Yscolan (l'Ecolier) Merlin le Sauvage chante". Dans les commentaires qu'il consacre au chant breton du Barzhaz, "Yannick Scolan", La Villemarqué envisage l'identité des deux personnages comme une possibilité et non comme une certitude.]
Le guerrier (selon les "Annales de Cambrie")
A la mort d’Ambroise Aurélien, aristocrate breton romanisé, selon l’ « Historia Brittonum », (c. 830), un texte en partie attribuée à un compilateur nommé Nennius (qui relate, en particulier, l'histoire de la Tour de Vortigern), Merlin s’attacha à son successeur, Uther Pendragon, comme chef, barde et conseiller, et la bataille du Mont Badon est l’une des 12 batailles livrées aux Saxons par Arthur.
[Remarque:
Ni Gildas le Sage (c.500 -570), auteur du sermon « De Excidio et conquestu Britanniae» (c.520 / 540),
ni Bède le Vénérable (672-735), auteur de l’ « Histoire ecclésiastique du peuple anglais » (731) où il reprend le texte de Gildas (et mentionne Ambroise comme le chef légitime des Bretons),
ne parlent d’Arthur, quand ils mentionnent la victoire du Mont-Badon (494, année de la naissance de Gildas)].
Selon l'Historia Brittonum, il aurait assisté à la bataille livrée par Arthur contre les Saxons [mais peut-être était-ce contre des Bretons] dans la forêt de Calédonie : « Bellum in silva Calidonis, i.e. Cad Coet Celidon », « le bouclier sur l’épaule, l’épée sur la cuisse, et il aurait dormi (eut un songe prémonitoire) avant la bataille » : « Am ysgwyd ar fy ysgwydd, am cleddyf ar fyn clun/ Ac ig coet Celiton i cysgais-i fy hun » (Livre Noir de Carmarthen).
Puis Arthur alla combattre les Bretons du nord.
Dans un premier combat fut tué le frère de Gildas, Hueil.
Le deuxième opposa Arthur à Médrod – Mordret : « Anno 452 Gweith Camlan in quo Arthur et Medraud corruerunt et mortalitas in Britannia et Hibernia ». Les Annales Cambrenses (10ème siècle) – entrées de 445 à 977, datent la bataille du Mont Badon de 516 et celle de Camlann de 537.
Vers 560-574, la bataille d’Arfderydd entre Bretons du sud [*] et ceux des frontières de l’Ecosse est marquée par la folie de Merlin : « Anno 573 bellum Armterid inter filios Elifer et Guendoleu, filium Ceidiau, in quo bello Merlinus insanus effectus est…" (Annales de Cambrie).
[*] Tim Clarkson dans "Scotland's Merlin" montre de façon convaincante que cette bataille opposait en réalité des Bretons du nord et que son souvenir, y compris celui de l'homme devenu fou, a été réactivé au Pays de Galles au profit du légendaire éponyme de Caerfyrddin- Carmarthen.]
Le poète (les 5 poèmes de Myrddin)
Merlin se consola par la poésie :
[Les poèmes ci-après sont tirés du "Livre noir de Carmarthen" qui date de 1250, mais la langue est du 9/10ème siècle.]
« Yr Afallenau » ("Les pommiers" que La Villemarqué compare à d’autres poèmes de Llywarch Hen et Gwenc’hlan et Ossian.
Citation tirée de « Les Bleus » (1845) : « Ils ont coupé les arbres de nos vergers » et le proverbe « An dud yaouank a gav gante/ A gouez an aour diouzh beg ar gwe… » ("Les jeunes gens croient que l'or tombe de la cime des arbres"), tiré d' "An amzer dremenet" str. 75, repris dans « Conversion de Merlin, str. 14, 1867 ».
La mère de Marsus avait en Hespérie un tel jardin où les pommes d’or étaient gardées par le Hespérides dont l’ainée s’appelait « Splendeur », comme la femme du poème.
A cette bataille Myrddin, soldat de Gwenddolau, un roi du Nord de la Bretagne, portait un collier d’or (insigne d'un chef).
Venue d’un vengeur : Léménik.
Ces idées sont reprises dans le poème armoricain « Conversion de Merlin ». (Chez Llywarch Hen on trouve « O dur bâton, soutiens-le bien ; bois fidèle aux pas chancelants, tu ne le porteras plus longtemps » à rapprocher du « bâton de houx » de « Merlin-Barde » (BB 1839)
["Yr Oianau": "Salutations" adressées à un porcelet: prophéties qui ont trait à des événements réels des 12 et 13ème siècles.]
Dans « Ymddiddan Myrddin a Thaliesin », dialogue entre Myrddin et Taliesin, ce dernier mentionne l’ »armée du roi gallois Maelgwn » de Gwynedd qui eut l’avantage à Arfderydd contre les sept fils d’Elifer [alors que les « Annales » font mourir Maelgwn vingt-six ans avant Arfderydd, en 547). [Il pourrait s’agir de représailles lancées par son fils Rhun. Les 3 poèmes suivants sont tirés du "Livre rouge d'Hergest" (1400) et du l"Livre blanc" de Rhydderch" (1300)]
"Cyfoesi Myrddin a Gwenddydd ei chwaer" : LV écrit « Etait-ce un être réel, une femme, une sœur du barde comme l’a prétendu le vulgaire, ou un être idéal ?»… Elle l’appelle son « Jumeau de gloire » .C’est la muse bardique.
. « Debout ! Lève-toi et consulte les livres/ de l’inspiration, les oracles de la vierge fatidique et les songes de ton sommeil ! »
. « O olochuyt kyvot a thravot llyvreu / Awen heb arsuyt / A chuedyl Bun a hun breuduyt »
. Modern Welsh : “O ailchwydd cyfod a thrafod llyfrau/ Awen heb arswyd/ A chwedl Bun a hun breuddwyd !"
. Breton : “Diouzh da vac’h war-zav ! Ha displeg levrioù-/Awen hep euzh/ Ha kehel Bun hag an hun-brederi !"
. [Arise from thy prison and unfold the books/ of Awen, without fear/ And the teachings of Bun (Proserpine,the Maiden) and the visions of sleep!"]
Il maudit les moines et ne veut recevoir la communion que de Jésus-Christ lui-même.
[Gwenddydd appelle Myrddin "Llallawg" et "Llallogan", le premier mot utilisé une seule fois par Llywarch Hen "Ac ni wn ai hi llallawg"= "Ha n'ouzon ket hag eo hi ur gevellig" (llall, pl. llell= autre)]
"Gwasgargerdd Fyrddin yn y bedd" (Adieu de Myrddin au tombeau): prophéties de Myrddin (Gallois sous le joug normand).
"Peirian Vaban" (Le jeune chef - que Myrddin encourage avant le combat) parle de "Myrddin, fils de Morfryn au blanc faucon" (Myrddin vab Morwrynn oedd hebawc gwynn).
Tous ces poèmes comportent des récits de myrddin à la 1ère personne et ont pour sujet la Bataille d'Arfderydd (#573 selon les "Annales Cambriae") après laquelle, pris de folie il se réfugias dans le Coed Celyddon où il devint un homme sauvage et un prophète.
Le païen converti (Vita Kentigerni)
Trois hommes saints cherchent à le convertir :
dans la tradition galloise c’est l’Irlandais saint Colomban du poème de Yscolan
dans la tradition de Strathclyde, c’est l’évêque de Glasgow, Kentigern à qui il déclare (Vita): «On m’appelle communément Merlin… J’étais barde du temps de Guortigern… Je suis la cause de la mort de tous ceux qui ont été tués dans la bataille livrée dans la plaine entre Lidel et Carvanolow… »
« Ego sum christianus, licet tanti nominis reus, olim Guortigerni vates, Merlinus vocitatus, in hac solitudine dira patiens fata… Eram enim caedis omnium causa interremptorum qui interfecti sunt in bello, cunetis in hac patria constitutis satis noto, quod erat in campo inter Lidel et Carvanolow situato… » Episode des Voix du ciel..
dans la tradition bretonne, Saint Cado, musicien et poète. (reprend l’histoire de Kentigern) : converion de Merlin du BB 1867 et de la « Légende celtique » 1859.
L’histoire d’Homère et Lucrèce ne nous est guère mieux connue que celle de Merlin. Mais « on peut affirmer que la foi politique dont il a été le prophète, que la cause patriotique qu’il a soutenue, n’offraient pas plus de doutes aux nobles âmes de son temps qu’aux cœurs généreux de nos jours ; car cette foi, cette espérance et cette cause sont celles de la justice, du droit et de la liberté. »
[La thèse de Merlin, "druide" païen converti, n'est guère convaincante. Dans les textes auxquels La Villemarqué se réfère, on voit Merlin se déclarer chrétien. L'assimilation de ce personnage à Yscolan est tout aussi discutable. En revanche le rapprochement avec l'homme sauvage de la Vie de Kentigern est parfaitement justifié]
Merlin personnage légendaire (l'Ambroise de l'"Historia Brittonum", 822)
L’histoire d’Ambroise selon Nennius (Historia Brittonum, 822). Vortigern déshonore sa propre fille et accuse Germain d’Auxerre. Abandonné des siens et des Saxons, il veut bâtir une tour en Cambrie « Ambrosius vocor, britannice Embreis ! » « Guletic ipse videbatur » (il avait l’air du roi de ce nom (Aurélien). - Mon père est l’un des consuls de la nation romaine." Le jeune Ambroise entra au service du successeur de Vortigern, Ambroise Aurélien.
Histoire du maître de Latin qui apprend à ses élèves la nouvelle de la victoire en Cornouailles du Breton Rodri sur les Saxons d’Ethelbert en 722.
Généalogie d’Ambroise Aurélien.
Déplacement de Stonehenge « Danse des Géants » (Cor y cewri).
Uter Penn-Dragon et l'engendrement d’Arthur.
Merlin personnage poétique ("Vita Merlini [Caledoniensis]", 13ème s.)
Selon la Vita Merlini caledoniensis du 13ème s. [Il s'agit de la "Vita Merlini" du 12ème s. de Geoffroy de Monmouth (suivie des "Prophéties de Merlin"), présentée par Francisque Michel en 1837. Ce texte s'intéresse surtout à la vie surnaturelle et magique de Merlin] : folie après la bataille. Le bois. Le loup familier : « Tu lupe, care comes !/ Et te dura fames et me languere coegit./ Tu prior has silvas coluisti ; te prior aetas/ Protulit in canos… » Gwendoloena, sa femme et Ganieda sa sœur. La feuille révélatrice. La triple mort du garçon, tondu, puis déguisé en fille. Merlin sur le cerf tue le second mari. Ganieda dans la forêt. Taliésin avec qui Merlin évoque Vortigern, Arthur, Hoël roi d’Armorique, Mordred et Camlann.
L’Insula Pomorum. Morgane. Thiten. Retour d’Arthur.
Quand les peuples bretons d’Ecosse de Galles d’Armorique et de Cornouailles seront unis, ils vaincront les Saxons.
La fontaine qui guérit Merlin. Il ne veut pas reprendre la tête de son peuple.
Maëldin trouve des pommes enchantées par une magicienne ("Merlin Barde" du BB1839)
Merlin personnage romanesque ("Merlin" de Robert de Boron, 1190)
Robert de Boron (fin 12ème - début 13ème):
Oeuvre en vers: "l'Estoire dou Graal ou Joseph d'Arimathie" de 3500 vers suivis de "Merlin" en 502 vers, racontant la naissance diabolique du pesonnage (1190-1200).
Trilogie en prose (Joseph d'Arimathie - Merlin - Perceval) conservée dans 2 livres, l'un à Paris (Didot-Perceval), l'autre à Modène: mise en prose (vers 1205-1210) des vers de Robert. Mais l'on ne sait pas si le Perceval en vers a jamais existé.
1. Conspiration du diable pour créer un homme à son image, après la rédemption.
2. Saint Blaise bénit un enfant né du diable : Merlin.
3. L’enfant eut le pouvoir mais non la méchanceté du diable. Il sauve sa mère du bûcher. Il charge Blaise d’écrire son histoire. La voici :
4. Vertigier avait chassé Uter et Ambroise, fils du roi légitime de (Grande) Bretagne et il était l’ami des Saxons qui étaient des Sarrasins venant des parties de Rome en guerre contre les Chrétiens. Il avait épousé une princesse saxonne. Comme tous le haïssaient, ses magiciens lui conseillent de bâtir une tour pour se mettre en sûreté, mais il faut occire un enfant sans père pour qu’elle tienne debout.
5. Merlin prévient Blaise qu’il va confondre les magiciens et révéler le sens des deux dragons. Il lui demande d’aller dans une forêt du Northumberland où il ira le rejoindre. Son plus grand travail, il l’accomplira au service d’Arthur, le 4ème roi. Vertigier est brûlé dans une tour par les 2 princes évincés.
6. Ceux-ci, ne pouvant prendre une ville où ils assiègent Hengist, font chercher Merlin dans sa forêt . Les messagers rencontrent un bûcheron hirsute : « Merlin ne viendra que si le roi lui-même vient le chercher ». Quant à la ville, on ne la prendra pas, tant que Hengist vivra. La preuve qu’il dit la vérité : celui qui conseilla au roi de l’aller chercher vient de mourir. Le roi Ambroise va trouver Merlin : en robe de bure et massue à la main, il gardait un troupeau de daims. Il annonce la mort d’Hengist décapité par Uter et reprend son aspect de charmant enfant.
7. Merlin prédit qu’il faut fournir aux étrangers des vaisseaux pour qu’ils s’en aillent. Les assiégés proposent de rester en payant un tribut. Merlin s’indigne et ils finissent par repartir. Merlin repart dans son désert en assurant qu’il reviendra quand les frères seront en péril.
8. Auparavant, ses ennemis à la cour lui font prédire une triple mort pour une même personne qui se cassera le cou, se pendra et se noiera. Merlin s’en va. Peu après il revient en annonçant le retour en force des Saxons.
9. Il prédit la mort de l’un des deux princes à la bataille de Salisbury.
10. Un monstre paraît dans les airs, signe annoncé par Merlin, de la victoire des Chrétiens. Ambroise mourut en brave. Pour faire honneur aux morts Merlin transporta d’Irlande la Carolle ou Danse des Géants (Stonehenge).
11. Merlin fit fondre un dragon d’or pour Uter qui devint Penn-dragon, puis retourna vers Blaise en Northumberland. Il a retrouvé la table de la Cène. Ce sera la Table Ronde préparée pour 50 chevaliers et hommes de bien du royaume de Penn-Dragon, puis de son fils Arthur. Il va à Cardueil en Galles dresser cette table. Les chevaliers qui étaient des inconnus les uns pour les autres déclarent n’avoir désormais qu’un seul cœur.
12. Le bruit courait que Merlin était mort. Un de ses ennemis s’assoit sur le siège vide à la Table Ronde : il fond et disparaît tandis que Merlin reparaît disant : « ainsi advient-il à ceux qui cuident enginer autrui et qui s’enginent eux-mêmes. »
13. Entre temps, les païens reviennent et un vieillard a enlevé le petit Arthur. Uter, malade, pense que Merlin est mort.
14. « Me voici ». Merlin lui dit de réunir une armée, à la tête de laquelle, porté sur son lit, il affrontera les païens.
15. Ceux-ci sont vaincus. Merlin demande à Uter de partager ses biens entre les pauvres.
16. Merlin sait qu’il n’est pas encore mort. C’est lui qui a enlevé Arthur. Il retourne en sa forêt.
17. Il revient et conseille au peuple de prier Dieu, à Noël, de lui envoyer un signe désignant le successeur d’Uter.
18. Saint Dubriz, archevêque de Carlion (Caerleon) annonce le miracle à Noël : un perron devant le portail avec une enclume d’acier où est enfoncée une épée portant sur sa garde : « Celui qui me retirera de par Jésus-Christ roi sera ».
19. Aucun des 6 rois de Bretagne, ni des barons, ni des chevaliers, ni des écuyers, ni des bourgeois n’y parvint. Dubriz appela les enfants. Un seul, un orphelin adopté par le vieillard Antor, tira l’épée de l’enclume.
20. Merlin vint à Carlion et conseille de se ranger à la décision de Dubriz de couronner Arthur.
21. A la Pentecôte Dubriz couronne Arthur et le ceint d’Escalibor. Malgr é les cadeaux qu’on leur fait, les barons ne tardent pas à se révolter.
22. Dubriz excommuniait les assiégeants et Merlin donnait à Arthur une nouvelle bannière ornée du dragon. Merlin remplit l’air de flammes et de fumées qui semèrent le désarroi chez l’ennemi ; on ouvrit les portes et on chargea les barons. Le cheval du roi s’abattit.
23. Le menu peuple vint à son aide.et mit les 6 rois en déroute tandis que le feu du ciel pleuvait sur eux.
24. De grandes fêtes furent célébrées auxquelles Merlin refusa d’assister. Il reviendrait métamorphosé, si le roi promettait de ne pas divulguer ce qu’il pourrait dire.
25. Trente mille Saxons avaient envahi et ravagé les terres des 6 rois et voulaient prendre d’assaut la capitale de la Cornouaille. Merlin déclenche une tempête sur eux tandis qu’Arthur les attaque. Le butin est partagé entre les plus pauvres.
26. Histoire des 3 oies sauvages qu’Arthur voulait acheter à un manant qui n’était autre que Merlin. Les barons fortifient le château de Nantes.
27. Léodogan, roi d’Ecosse, attaqué par le géant Rion, roi d’Islande, de Danemark et de Saxonie, demande l’aide des chevaliers de la Table Ronde. Léodagan est fait prisonnier. Rion veut ajouter sa barbe à sa collection de barbes de rois tués. Merlin chevauchait en tête des chevaliers et délivra Léodagan.
28. Arthur affronte un géant, vassal de Rion. Genièvre, fille de Léodogan, le vit. Mais il faut d’abord délivrer les 4 nevaux d’Arthur assiégés par les Saxons dans Camalot.
29. Gauvain, neveu d’Arthur, conduit par Merlin déguisé en pâtre repousse les ennemis.
30. Merlin annonce à Blaise que le Lion sauvage doit désormais être captif de la Louve, puis partit en Gaule où Arthur avait délivré le roi de Bretagne et conquis le Berry.
31. Dans la forêt de Brocéliande Merlin trouva une fontaine fréquentée par une demoiselle, Viviane (en chaldéen : « je ne ferai rien »)
32. Rencontre de Merlin et Viviane.
33. Miracle du cercle de Merlin (château et fête)
34. Le jardin de joie ne disparaît pas.
35. Echange de serments. Merlin reviendra dans un an.
36. Arthur épouse Genièvre en présence de Merlin. Enlèvement de Genièvre délivrée par Merlin.
37. Merlin est retourné chez Blaise. Il annonce une grande bataille où Arthur sera aidé par les rois de Petite-Bretagne, des deux Cornouailles, et des autres 6 rois.
38. Merlin se rend à Gaël, près du roi Ban le Benoît, puis à Lamballe, près du roi Bohor et leur dit d’aller à Salisbury où des chevaliers sont réunis et de l’attendre. Puis il rejoint Viviane au jardin de joie. Il lui appris à faire couler l’eau, à changer de forme et à endormir qui elle voudrait.
39. Au bout de 8 jours, Merlin va à Salisbury et prépare la bataille. Les 6 rois se rallient à Arthur. Les païens sont rejetés à la mer. Merlin retourne en Bretagne.
40. La fête de Gauvain et le harpiste breton au lévrier.
41. Messager de Rion qui réclame la barbe d’Arthur. Celui-ci le prie de venir la chercher.
42. Le harpiste réclame l’enseigne au dragon. Arthur refuse.
43. Merlin revient sous forme d’un enfant à tête rasée à qui le roi remet la bannière.
44. Arthur sort à grand peine vainqueur du duel avec Rion. Arthur s’en va et reviendra quand le Lion, fils de l’Ours et de la Panthère arrivera dans ce royaume (Henri Ier).
45. Voyage à Rome sous la forme d’un cerf, puis d’un homme sauvage, Merlin explique un songe à l’empereur, va à Jérusalem puis revient vers Blaise avant de retrouver Viviane.
46. Merlin lui apprend comment l’emprisonner. Le buisson d’aubépines.
Les autres romans dénaturent Merlin (Rabelais, Tennyson)
LIVRE II: LES PROPHETIES DE MERLIN
Concernant la Cambrie (le Pays de Galles)
1066 Les Bretons de la Cornouailles au Solvay s’écrient : « Notre nation se relèvera et chassera les Saxons ! » Les Normands étaient les exécuteurs de la justice divine. (Caradoc de Llancarfan : « God has brought in the Normanes to revenge his anger upon the Angles and Saxons that had traitorously and cruelly slaine the Brytaines.” History of Cambria, transl. By Humphrey Lloyd, 1584). Peut-être des Bretons ont-ils fraternisé à Hastings comme à Saint-Cast ; Des moines gallois écrivirent :
« Dives provincia ! Victoriosa !/ Potens in armis ! Victrix Letavia !/ Nulla potentior in laude bellica !
Sumpsit originel a matre britannica/ Erudita fuit a matre filia/ Sequitur natam tota victoria!
Britanni principes vigore pleni;/ Nobiles duces, sed nobilissimi/Quondam haeredos, postem exhaeredati/Amiserunt propria, ut alieni.”
“O la noble contrée, à qui va la victoire !/ Victorieuse Armorique à l’impérieuse épée !/ Par les bardes guerriers nulle n’est plus chantée !
Tu dois ton origine à ta mère bretonne/ Elle t’instruisit bien : la victoire te suit.
Car les princes bretons sont une race hardie/ De nobles chefs issus de plus nobles encor / Maîtres dépossédés jadis de leur patrie/ Eux qu’on eût dit chez eux étrangers du dehors. »
(Rees, Lives of the Cambro-British saints).
1078 : La domination normande n’était pas plus douce. Les bardes de Cambrie relevèrent l’antique fauteuil bardique.
Raoul de Gaël en Bretagne voulait se marier en Galles, le pays de sa mère. Il doit s’enfuir suivi d’un prince Gallois Rhys fils de Théodore. Il revint 4 ans plus tard selon une prophétie de Merlin qui l’appelait Cadwalader et régnerait 3 ans. Griffith ap Conan qui avait fui en Irlande se joignit à lui : victoire de Carno (Powys) en 1078 qui replaçait les Galles sous l’autorité de ses anciens souverains (Caradoc of Llancarfan, 12th century-Lloyd).
1135 :Deux fils de Griffith attaquèrent les fortifications normandes à la mort d’Henri Ier Beauclerc. L’un d’eux s’appelait Cadwalader. Ils avaient l’appui d’un Conan de Bretagne, comme dans la prophétie des « Pommiers ».
1169 : Soulèvement d’Owen qui espère en vain l’aide de Louis VII de France poème du « Pommier » renouvelé.
1210 : Soulèvement conduit par Llywelyn le Grand contre Jean sans Terre : poème des "Marcassins".
1282 Llywelyn le Dernier, dernier chef gallois vaincu par Edouard Ier fut décapité à Londres. Et l’on construisit les châteaux de Caernarfon, de Conwy et de Harlech.
Concernant la Cornouailles et l'Ecosse

Les « klaskerion » et les harpistes de Cornouailles, Devon et Ecosse bretons ( Chaucer, Contes de Cantorbéry : « And other harpers many a one, / And the Briton Glaskerion ») font de Merlin l’idéal prophétique de toute leur race, pas seulement le « prophète de clocher » de Galles. En Ecosse il avait annoncé l’invasion des Danois et des Normands, accompagnée de cataclysmes et tout l’histoire des deux Bretagnes de 450 à 1066, terme du vol du blanc dragon. Alors viendra un vengeur de Neustrie qui rendra leurs biens aux anciens possesseurs. ("Prophéties de Merlin" de Geoffroy). Merlin avait vu au-delà :
1100 Prophétie 10: "Deux dragons dont l’un périra d’une flèche" ( Guillaume II le Roux, fils aîné et premier successeur du Conquérant, 1087-1100, ainsi tué au cours d'une chasse) "et l’autre règnera à l’ombre d’un grand nom royal" ( Robert Courte-Heuse, qui passa la fin de sa vie en prison à Cardiff et ne régna pas )
1120 Prophéties 11 et 12: "Le Lion de justice qui fait trembler la Gaule et tous les dragons de l’île de l’océan qui sait extraire de l’or de la corne des bestiaux... et dont les petits seront transformés en poissons des mers..." n’est-il pas Henri Ier Beauclerc avec ses impôts et ses exactions odieuses, lui dont les fils firent naufrage avec la Blanche Nef au raz de Catteville?
1138 : Bataille de l’Etendard entre David Ier d’Ecosse et Etienne d’Angleterre. L’Ecossais est vaincu et le Northumberland est perdu.
1153 : Querelles de succession qui précèdent l’ accession au trône d’Henri II, à la mort d’ Etienne. Le Traité du 7 novembre donnait le fils de l’Impératrice Mathilde pour héritier au roi Etienne. Il fit évanouir les chances d’indépendance des peuples bretons .Cependant les Cornouaillais appellent à l’aide l’Angleterre : « Levez-vous, jours du Lynx ! » (le roi anglais sous lequel les Bretons devaient recouvrer leur indépendance). « Fuyez dragon du nord ; toi et tes dieux fuyez loin de notre pays! Que l’Angleterre extermine sa race ! »
Les Prophéties 19 et 20 annonçaient l’alliance de tous les Bretons conduits par "un Vieillard aux cheveux blancs (Arthur de retour) qui détourne le cours du fleuve cornouaillais avec sa baguette et construit un moulin au milieu". L'alliance de "Conan le Breton et du Gallois Cadwalader" est aussi annoncée par la Triade des trois libérateurs » tirée de Myvyr (p.156) dont M. Stéphens a découvert l’auteur.
Concernant l'Armorique
Arthur Ier (1186-1203)
Depuis le mariage de Geoffroy (1158-1186) Plantagenêt, fils du roi Henri II d’Angleterre et d’Aliénor d’Aquitaine, avec Constance de Bretagne en 1181, les Bretons supportaient mal la mainmise anglaise et normande sur leur duché. La prédiction d’Arthur, Cadwalader et Conan se poursuivait (Prophétie 21) par l’annonce d’un "sanglier de guerre sorti de Conan dont le champ de course s’étendra bien au-delà de l’Espagne." : le jeune Arthur Ier né le 29 mai 1186. « Aujourd’hui, les Bretons, la tête farcie de leurs folles idées sur le retour de son fabuleux homologue, nourrissent la vaine espérance de le voir réaliser les fantastiques promesses que de fausses prophéties annoncent concernant Arthur. » (Guillaume de Newbridge). Llywarch Ap Llywelyn (1160- 1220) disaient que les héros peuvent naître deux fois. A sa mort en 1198, Richard Cœur-de-Lion désigna le jeune Arthur II comme son successeur (par haine de Jean-sans-Terre ?), soutenu par Philippe-Auguste qui l’envoya guerroyer contre ce dernier à la mort de Richard en 1199. Il serait mort en 1203, prisonnier de Jean qui le tua.
Arthur III de Bretagne, Connétable de Richemont (1393-1458)
Il acheva l’œuvre de Jeanne d’Arc en chassant pour jamais l’Anglais de de notre pays.
« On admirera les efforts des peuples bretons en faveur de leur nationalité attaquée avec des forces supérieures par des puissances de premier ordre… la postérité n’insulte pas les causes vaincues quand elles sont justes, Elle les loue quoiqu’elles aient échoué. »
LIVRE III: L'INFLUENCE DES PROPHETIES DE MERLIN
Influence historique
Geoffroy de Montmouth
L’évêque de Lincoln, Alexandre, chargea Geoffroy de Monmouth qui avait déjà traduit l'Histoire des Rois de Bretagne à la demande de Guillaume de Gloucester, de traduire les prophéties de Merlin « pour ceux qui ne savaient pas le breton », flattant ainsi l’orgueil des Normands de se voir appelés par Merlin les justiciers de la Providence. Les barons du royaume désiraient connaître ces prophéties auxquelles les bardes et le peuple gallois attachaient tant d’importance. Princes, prélats et nobles, divisés sur les questions de légitimité entre le roi Etienne et la reine Mathilde s’inclinaient devant l’autorité de Merlin. Des copies de ses prophéties circulaient dans toute l’Europe. On l’assimilait aux prophètes d’Israël.
[ Les "Prophetiae Merlini Caledoniensis" que La Villemarqué cite fréquemment ne sont autres que la "Vita Merlini" de Geoffroy de Monmouth suivie des "Prophetiae Merlini" du même auteur, datant d'environ 1130-1150, et non du 13ème s., que Francisque Michel et Thomas Wright avaient publiée quelques années plus tôt (en 1857), d'"après les manuscrits de Londres". Il a trouvé dans cet ouvrage qui est clairement "attribué à" Geoffroy (il est intitulé "Galfridi de Monemuta Vita Merlini") une tentative d'élucidation de ces 74 nébuleuses prophéties qu'il mettra à profit dans son ouvrage]
Ordéric Vidal et Surger
L’historien Ordéric Vidal (1075 – 1143) auteur de l’"Historia ecclesiastica" note que les faits qu’il rapporte avaient été prédits 600 ans plus tôt par Merlin et assure que beaucoup d’autres prédictions se réaliseront de même.
De Normandie (Bec-Hellouin, Mont Saint-Michel, Ouche) le livre passe à l’abbaye de Saint-Denis et l’abbé Suger (1080 – 1151) cite Merlin entre un roi de France et un roi d’Angleterre ( Henri I) : « ut nec unum iota nec unum verbum ab ejus convenientia dissentire valeat » ( De ses prédiction, pas un iota, pas un mot qui n’ait reçu son accomplissement ; cité par Duchesne).
Jean de Cornouailles
Merlin est commenté par Jean de Cornouailles (1176, auteur d’un traité (« Eulogium ») contre la doctrine d’Abélard). Il serait l’auteur d’un texte d’un poème en hexamètres latins conservé à Oxford, « Merlini prophetia cum expositione » à la demande de l’évêque Warelwast d’Exeter. Il s’efforce de donner la traduction mot à mot de l’original breton : « eam pro verbo verbum lege interpretationis reddere studuerim ». Quelques expressions celtiques sont données en notes : « pep liden war-nugens ha hanter » (25.5 ans), « gendt ebil » (venti excussio, tempête de vent) ; « michtiern lueht mabiguaset », (le roi Etienne adopte le jeune Henri) ; « awel garu » (« auram asperam », nom d’un vent) ; « kaie belli » (nom d’un château).
Les prophéties commencent à partir du meurtre de Conan II, duc de Bretagne (1040 – 1066) jusqu’à 1170. LV pense que cette prophétie et celle de Geoffroy sont basées sur le même modèle celtique. « Voyez comme Merlin se moque des ennemis des Bretons et il a bien raison ! » (Ecce, hostiliter sed non falso, insultat eos Merlinus !) Il pleure les 6 chefs cornouaillais tombés en défendant leur patrie contre le roi Etienne : Oh maison d’Arthur envahie par une race parjure ! » (Eu domus Arthuri perjurae subdita genti !)
Alain de Lille
Alain de Lille (1128- 1202 ?) de l’Académie de Paris étudia, lui aussi, les prophéties de Merlin auxquelles il consacra sept livres : « Prophetia Merlini Ambrosii britanni, una cum septem libris explanationum in eamdem prophetiam, excellentissimi oratoris, polyhistoris et theologi Alani de Insulis, doctoris universalis, etc. »
Tout le monde y allait de son interprétation des prédictions de Merlin. Comme le dit un roman de Merlin en vers : « Seigneurs, qui allez devisant, D’une chose et autre disant, De celles que Merlin prophétisa, Les uns disent ci, les autres là. Chacun, dit ore en son endroit. Tout ce qu’il être voudrait. Il parle moult obscurément. Ce qu’il dit aussi comme songe, Sachez que ce n’est pas mensonge. » Il commence son explication à la chûte de la monarchie bretonne. Selon lui, Merlin n’est pas païen, ni fils de Satan. Sa mère a inventé une fable pour couvrir sa honte. Il prend parti pour les vaincus contre les vainqueurs et se réjouit avec les Gallois de la délivrance provisoire qu’aurait pu être l’arrivée des Normands et du Breton Fergent qui expulsent les Anglais et les Danois et forment le district armoricain (Comté de Richemond). Bien qu’il ne croie pas qu’Arthur soit encore en vie et quoiqu’il en rie, il ne peut nier que les Bretons soient revenus dans leur patrie et qu’ils y régneront encore, s’il faut en croire Merlin : « Nos autem, licet eorum opinioni vel potius errori de vita adhuc Arthuri nullo modo ascentimur sed rideamus, reditum tamen Britannici populi in naturale solum – et iterum regnaturum, si Merlino creditur – negare non possumus ». La grande Bretagne aura bientôt pour roi un descendant d’Arthur et de Constantin son aïeul.
Influence politique
Jean sans Terre (1203)
Alain de Lille fut témoin du « retour d’Arthur » : naissance du fils de Constance de Bretagne et de l’acte par lequel Richard Cœur-de-Lion (1157 – 1199) reconnaissait son neveu Arthur de Bretagne (1187-1203) comme roi d’Angleterre. La menace du prophète breton qui voulait qu’Arthur devienne l’exterminateur des Anglais a effrayé Jean sans Terre et l’a poussé à assassiner Arthur.
Glastonbury (1191)
De même Henri II Plantagenêt (1133 – 1189) ne pouvait entendre sans émotion les oracles bretons qui le désignaient sous la figure du "lionceau qui occuperait l’Irlande, etc." (Prophétie 17). Histoire du Pont de la Pierre qui parle. Pour mettre fin aux rêves des Gallois, mise en scène de la découverte à Glastonbury, en 1191, dont son neveu, Henri de Sully était l’abbé. « Hic jacet sepultus inclytus rex Arthurus in Insula Aualonia cum Wenneveria uxore sua secunda » (relaté par Giraud de Barri, 1146-1223).
Jeanne d'Arc (1412-1431)
qu’une Bretonne nommée Périnaïk alla rejoindre ; une autre fut brûlée par les Anglais pour avoir pris sa défense) soutenue par le Duc Breton Jean V (frère Yves Milbeau et le sire de Rostrenen furent ses messagers auprès d’elle). Imité par Arthur III qui lui envoya 1200 hommes en renfort. Il prit part à la victoire de Patay (bien que calomnié auprès de la Pucelle par La Trémoille, l’indigne favori de Charles VII).
Merlin avait annoncé, disait-on, les désastres de Crécy, Poitiers et Azincourt. Mais il avait prédit (Prophétie 31) « ...trois fontaines jailliront, dont les ruisseaux diviseront l’Île en trois parties [2 de ces ruisseaux donnent la mort lente ou foudroyante et le 3ème la vie éternelle. Les hommes s’efforceront en vain de tarir les 2 sources malfaisantes] (Prophétie 32) Alors du bois chenu sortira une vierge qui arrêtera le fléau, après avoir essayé tous les autre artifices, assèchera de son souffle les sources nocives. (Prophétie 33) Elle portera dans une main la forêt de Calédonie, dans l’autre la Tour de Londres... » (Prophéties de Merlin remaniées tirées des Myvyr. Arch.)
Christine de Pisan écrivait en 1429 :que « Merlin, la Sibylle et Bède avaient vu la Pucelle en esprit il y a plus de mille anset prédit tout ce qu’elle ferait. » (cité par le chartiste Jules Quicherat, 1814 – 1882, dans son édition du "Procès de condamnation et de Réhabilitation de Jeanne d’Arc" parue en 1841-1849). L’opinion publique avait remplacé par « quae ut omnes arces injerit, solo anhelitu suo fontes nocuos siccabit » : « arces » citadelles remplace « artes ». On ajouta que le bois chenu était en Lorraine : « Dans certain vieux livre où étaient publiées la prophétie de Merlin on trouva écrit qu’une certaine pucelle devait venir du bois chenu sur les marches de Lorraine (ex nemore canuto de partibus Lotheringiae). Jeanne savait que des prédictions sur son compte circulaient. Elle déclara à ses juges « Je ne crois pas aux prophéties de Merlin » (sed dixit ipsa Johanna quod in hoc non adhibuit fidem ). Alain de Lille (confondant Lille avec l’île de Bretagne) avait prévu la terreur qu’inspirerait la vierge du bois chenu et recommandé de la punir avec la plus grande sévérité , comme on le fit de son temps pour une sorcière de Lille, favorable aux Normands, car « cette fille aura le pouvoir des sorcières qui affolent les hommes ou les tuent. » Le commentateur au procès du prophète breton voyait dans le roi Henri VI le « cerf dix cors qui tuerait la pucelle », au dire de la prophétie 34. Laquelle, après Llywelyn le Dernier et Arthur II, faisait ainsi une 3ème victime.
Mort du Duc de Clarence (1478)
Edouard IV (1442- 1483) fit mettre à mort son frère Georges, duc de Clarence en 1478, soi-disant pour trahison, en fait, sur la foi d’une prophétie de Merlin selon laquelle un de ses proches dont le nom commencerait par un G, enlèverait la couronne à ses enfants. (Mémoires de Martin du Bellay).
Concile de Trente (1545-1563)
C’est le Concile de Trente (1545- 1563) qui déclara les Prophéties de Merlin comme fausses et défendit de les consulter sous peine de censure canonique « Merlini Angli liber obscurarum praedictionum, prohibetur » (Index librorum prohibitum a Patribus Concilii Tridentini, 1667).
Influence littéraire
"Prophéties" de Richard de Messine
Ecrites en français à l’intention de l’empereur Frédéric II (de Hohenstaufen 1194- 1250), comme le prolongement de l’œuvre de Robert de Boron (fin du 13ème s.) : Blaise avait noté les merveilles que Merlin avait faites et ses révélations. Ce livre avait été volé. Merlin se rendit en Irlande et dicta un autre livre à Ptolomée ou Tholomer qui devint évêque et, de ce fait, dut être remplacé par un de ses clercs appelés Anthoine. Les premières prédictions sont connues :
Arthur sera roi de la Grande-Bretagne. A la fin de ses aventures, il montera dans une nef qu’on verra pendant des siècles amarrée au rivage de l’île où il aura débarqué.
Après lui, en Gaule, un autre monarque viendra : K. au chef d’or qui éteindra l’eau de la « fontaine qui bout ». (Charlemagne). Suit l’épisode de Roncevaux.
Puis Merlin prédit les croisades et la captivité de Saint-Louis en 1250. ; la ruine de l’Irlande conquise par les anglo-normands d’Henri II, annoncée par la mise à mort d’un saint du nom d’Alexandre, lequel ressuscitera. Peu de temps après viendra la fin du monde. Mais avant, tous les clercs seront corrompus par l’argent et tous les hommes deviendront méchants. Ces accusations étaient celles que portait Frédéric contre la cour d’Innocent IV.
A la fin du roman, on s’adresse à Viviane pour recueillir les derniers oracles du prophète. Mais celle-ci a enseveli son amant dans son tombeau où elle l’a fait se coucher par ruse. Le chevalier Méliadus, le nouvel amant de Viviane entendra l’esprit de Merlin qui le charge d’aller dire à Anthoine d’achever son livre et lui remet une charte avec des prédiction allant jusqu’en 1260, année de la mort du « grand dragon » (le Diable).
L'Arioste et "Roland furieux"
L’Arioste (1474-1533), dans son « Roland furieux », mène Bradamante au tombeau de Merlin « dove l’ingannollo la Donna del Lago ». Merlin prédit à la maison d’Este un avenir glorieux.
Cervantes et "Don Quichotte"
Cervantes (1547 – 1616) met en scène un vieillard qui conduit Don Quichotte dans un palais de cristal avec un tombeau de marbre où repose un homme endormi : Durandard, pour lequel le fameux devin gaulois Merlin fit bâtir ce palais, pour lui et toutes ses victimes. Le vieillard présente Don Quichotte comme celui qui doit accomplir les prophéties du devin.
Shakespeare et le "Roi Lear"
Shakespeare (1564 – 1616), dans le "roi Lear" termine la scène de l’ouragan par une parodie des prophéties patriotiques de Merlin. Le fou dit : « Quand les brasseurs ne mettront plus d’eau dans leur bière, Que les juges rendront le justice,…, alors le royaume d’Angleterre sera en grande confusion ; alors ceux qui vivront se serviront de leurs pieds pour marcher. Merlin fera cette prophétie un jour, car je vis avant lui. »
Rabelais et la "Pantagruéline Prognostication"
Rabelais (1494 – 1553) nous a légué en 1533 une « Pantagruéline prognostication certaine, véritable et infaillible » (LV prétend qu’Alcofribas veut dire « Quelqu’un au grand nez » (« fri bras » mots qu’il aurait trouvé dans le Catholicon), tout comme « Nasier ». Les nonnes qui seront en 1533 sous le signe de Vénus seront dans la même position délicate que la mère de Merlin.
Dans un roman intitulé « Les grandes chroniques de Gargantua et les faits d’armes qu’il fit pour le roi Arthur ». (1532) il est question d’un grand philosophe nommé Merlin, prince des nigromanciens.
Merlin fabrique une énorme enclume. Il fait apporter les ossements de deux baleines pour faire le père et la mère de Gargantua. Il fait une merveilleuse jument pour porter la mère de Gargantua. Puis il rompt les enchantements. Il annonce à Gargamelle et Grand-Gousier qu’ils auront un fils.. Au bout de sept ans, ils vont chercher Merlin à la cour du roi Arthus. La jument abattit la forêt de Champagne et de Beauce avec sa queue. Ils arrivent au Mont Saint-Michel où les Bretons leur font un « meschief ».(ils leur volent leurs provisions, mais doivent les compenser avec deux mille vaches et créent deux îles : le Mont Saint-Michel et Tombelaine). Les parents de Gargantua meurent des suites d’une purgation. Merlin vient le réconforter. Tandis que la jument s’en va en Flandres. Merlin mène Gargantua en Grande Bretagne dans une nuée. Il va chercher Arthur. Il prépare la guerre contre les Gos et Magos en confectionnant une massue pour Gargantua. C’est la victoire suivie d’un banquet à Londres. On fit faire un habit pour le vainqueur. Gargantua remercia Merlin en secret, lors d’une guerre contre les Hollandais et les Irlandais insoumis à Arthur : il fit passée l’armée dans une nuée. Gargantua revient avec des prisonniers. « Ainsi vécut Gargantua au service du roi Arthus l’espace de deux cents ans trois mois et quatre jours justement. Puis fut porté en féerie par Gaïn la fée et Mélusine et plusieurs autres, lesquelles y sont jusqu’à présent. »
Après Rabelais
Les autres auteurs n’ont plus guère eu recours à Merlin, si l’on excepte des citations çà et là :
La Fontaine : « Tel, comme dit Merlin, cuide enseigner autrui/ Qui souvent s’engeigne lui-même ».
Trois tentatives demeurent : un drame de l’Allemand Karl Immermann, un poème d’Alfred Tennyson et une "fantaisie épique" d’Edgar Quinet (le concurrent de LV en « Merlinité ».
En guise d’épilogue une pseudo-fable que La Fontaine eût pu écrire : Merlin et le Bûcheron.
Merlin par ses prodiges permet à un bûcheron de devenir un potentat. L’ingrat finit par traiter son bienfaiteur avec mépris (il l’appelle « Merlot ») forçant ce dernier à tout lui reprendre. Redevenu simple bûcheron, il n’entendit plus jamais la voix de Merlin. Cette voix a cessé de parler aux romanciers d’Europe qui après l’avoir respecté et connu grâce à lui une belle fortune littéraire, l’ont négligé et ont fini par se moquer de lui. »Ils portent la peine de leur faute. ... La fidélité des antiquaires patriotes sera-t-elle récompensée ? »
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CHRONOLOGIE
313 Victoire de Constantin sur Maxence au Pont-Milvius (Chrisme) et Edit de Milan. Le culte chrétien est traité à égalité avec les autres cultes.
380 Edit de Thessalonique de l'Empereur Théodose: le christianisme nicéen l'emporte sur l'arianisme et la paganisme est bientôt interdit.
410 L'empereur Honorius ordonne le retrait de la puissance romaine de [Grande] Bretagne.
446 Arrivée des mercenaires saxons, selon Gildas. Les Bretons commencent à s'installer en Armorique.
500 Victoire au Mont Badon des Bretons sur les Saxons. Naissance de Gildas (mort en 570).
544 Gildas: "Breviaire" et "De excidio Britanniae": Ambroise Aurélien combat les Saxons.
573 Bataille d'Arthuret (gall. Arfderydd) selon les "Annales Cambriae". "Gwendoleu cecidit" (chef et ami de Merlin)
vers 580 Kentigern nait à Culross. Il viendra en Cumbrie à la demande de Rederech Haël.
600-700? attr. Aneurin: dans l'une des 2 versions de "Y Gododdin" (Combat des Votadini contre les Angles à Catraeth en 600): une ligne mentionne "gwengawd Mirdyn", le beau chant de Myrddin.
700 Abbé Adomnan d'Iona: "Vie de Saint Colomba": Roderc, roi du Rocher de Clyde (Dunbarton) = Rhydderch dans les textes gallois
731 Bede le Vénérable: "Histoire ecclésiastique du peuple anglais": confirme le rôle d'Ambroise Aurélien.
830 Nennius (en partie): "Historia Brittonum" : Ambroise Aurélien. Tour de Vortigern. L'enfant-prophète Ambroise. La "liste des anciens bardes célèbres, Talhaearn, Aneirin, Taliesin, Buchbard et Cian Gueinchguant, ne comprend pas Myrddin.
800-1000 Anonyme: les 5 poèmes du L.N. de Carmarthen du L.R. de Hergest et du L.B. de Rhydderch où Myrddhin Wyllt parle à la 1ère personne de la bataille d'Arfderydd, "Afallenau, Oianau, Cyfoesi, Gwasgargerdd, Peirian".
940 Anonyme: "Armes Prydein Vawr" (la prophétie de Grande Bretagne): "Myrddin prédit que les Gallois rencontreront les économes des machtierns des Gaëls d'irlande et de Man et des Bretons de Cornouailles et de Strathclyde".
1066 Hastings. Guillaume devient roi d'Angleterre.
1113 le Prince David restaure l'évêché de Glasggow dans de qui reste du Strathclyde où le gaélique remplace le cumbrien.
avant 1130 Anonyme: Triade des noms de l'Île de Bretagne: "Clas Merdin", l'Île de Miel, l'Île de Bretagne".
1135 la cathédrale de Glasgow est consacrée à St Kentigern
1135 Guillaume de Malmesbury: oeuvres diverses: Ambroise successeur de Vortigern.
1135 Geoffroy de Monmouth: "Prophetia Merlini" qui sera incorporée dans l'ouvrage suivant.
1138 Geoffroy de Monmouth: "Historia Regum Britanniae": fausse étymologie de Carmarthen. Fusion de Merlin avec Ambroise, le devin de Vortigern, mais non avec le roi Ambroise Aurélien.
La tour de Vortigern. Le transport de Stonehenge. Uther Pendragon, frère d'Aurélien et père d'Arthur (subterfuge de Merlin. Igerne: chap. 137).
1148 Geoffroy de Monmouth: "Vita Merlini": Merlin sert le roi de Dyved (Demetia) qui avec le roi de Gwynedd et le Cumbrien Rodarchus font face à l'Ecossais Guennolous. Gwendoloena est sa femme. Ganieda est sa soeur. Telgesinus (Taliesin) et Maeldin sont ses amis.
1150 Robert Wace: "Roman de Brut", traduit HRB du latin en français.
1150-1180 les évêques de Glasgow Herbert puis Jocelin font rédiger la vie de Kentigern. Le bouffon de Rederech s'appelle Laloecen.
1155 Anonyme: "Triade des principaux bardes de l'Île de Bretagne" : "Myrddin fils de Morfryn, Myrddin Emrys et Taliesin"
1170 Chrétien de Troyes: "Erec et Enide", 1er "roman de la Table Ronde: Merlin n'est plus mentionné.
1190 Robert de Boron: trilogie: "Estoire du Graal" +"Merlin" +"Perceval" en vers, complétés par les manuscrits de Modène et Didot en prose: Merlin mentor d'Arthur, prophète et intrigant, initiateur de la quête du Graal, l'épée dans l'enclume: christianisation du mythe.
1191 Giraud de Bary: sous le règne d'Henri II, découverte du tombeau d'Arthur à Glastonbury
1250 Anonyme: "Suite de Merlin" et "Estoire de Merlin": Viviane; EM est un des 5 volumes de la "Vulgate" (EM, Estoire et Quête du Saint Graal, Lancelot, Mort Artu).
1350 "Vita Merlini Silvestris": Lailoken et Kentigern (triple mort). Lailoken et le roi Meldred: la feuille sur la coiffure.
1450 Thomas Malory: "Le morte d'Arthur": Traduction anglaise de la Vulgate.
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