MICHEL GALIANA
Qui était Michel Galiana selon les apparences ?
Comme le reste de ma famille, je n'ai connu de mon frère Michel, de son vivant, que ce qu'il a bien voulu qu'on en connaisse.
Il était né le 26 janvier 1933, deuxième enfant de Paul et Hélène Souchon, mes parents. Mon père était ingénieur électricien. Ses intérêts se limitaient aux choses techniques. Ma mère avait été secrétaire à Nantes, sa ville natale, puis sa vie avait été entièrement consacrée à élever les cinq enfants qu'elle mit au monde entre 1930 et 1945.
La famille habita au début à Paris, dans le 15ème arrondissement, celui de la Tour Eiffel, jusqu'en 1938, avant de s'installer,dans la banlieue ouest de Paris, à Viroflay, près de Versailles, où mes parents, avec la venue d'une seconde fille, avaient fait construire un pavillon sur un petit terrain à la lisière du bois de Meudon, face à un manoir du 19ème siècle entouré d'un très beau parc. Cet environnement allait avoir un profond impact sur la créativité du poète.
Le jeune Michel alla à l'école de Viroflay, puis, vers la fin de la guerre, entra au lycée Hoche de Versailles où il fit des études littéraires comprenant Français, Latin, Espagnol, Anglais et Histoire, pour ne parler que des disciplines où il se montrait particulièrement brillant. Un jour mon père fut convoqué dans le bureau du Proviseur qui voulait le prier de ne plus rédiger les rédactions à la place de son fils. Mais entre temps Michel avait convaincu ses maîtres, par des dissertations faites en classe qu'il était bien l'auteur de chefs d’œuvre et non son père. Le proviseur s'excusa et prophétisa : « Monsieur, si votre nom est connu un jour, vous le devrez à votre fils Michel ». La prophétie ne s'est pas réalisée à ce jour.
Elle ne le sera jamais, en vérité, puisque Michel s'est choisi le pseudonyme de « Michel Galiana ». Cette anecdote aurait dû éveiller l'attention de mes parents.
Mais Michel était un enfant timide, sans ascendant sur les autres, handicapé par une voix qui avait incorrectement mué à la puberté. De ce fait, il parlait peu. Sa seule activité était la lecture et on le voyait lire du soir au matin. Notre père essaya bien de le raisonner pour le ramener à la « norme », mais Michel faisait peu de cas de ses terribles remontrances.
Il y eut cependant des moments de bonheur dans cette existence terne, en particulier les grandes vacances qui conduisaient la famille à Nantes chez nos grands-parents maternels. Ils habitaient une petite maison couverte de lierre que jouxtaient un verger, un potager et une petite vigne. Mon grand-père faisait son propre vin que ses petits-enfants refusaient de boire tant il était mauvais. C'était un personnage pittoresque avec sa longue barbe, un ancien marin qui avait beaucoup voyagé et une forte tête qui avait, soi-disant, pris la tête d'une mutinerie au Tonkin. Il aimait chanter les airs des opéras français de sa jeunesse que Michel écoutait avec délice. Le port de Nantes, encore accessible aux grands bateaux était un lieu propre à enflammer l'imagination, ainsi que les monuments qui témoignent de la splendeur des Ducs de Bretagne. De nombreux poèmes célèbrent cet heureux temps.
Michel entra vers 1952-1953 à la Sorbonne où il étudia l'histoire et la géographie et obtint la licence. Il savait que son infirmité vocale et sa timidité étaient des handicaps sérieux pour une carrière d'enseignant. C'est pourquoi il se présenta à plusieurs concours d'entrée dans des institutions sans lien avec l'enseignement, mais préparant à des professions d'archivistes, de bibliothécaires ou de gestionnaires de musées, comme l’École des Chartres. Son père qui avait pourtant des relations ne lui vint pas en aide pour forcer les portes de ces forteresses bien gardées. Il dut donc se résoudre à préparer le CAPES indispensable pour devenir professeur de l'enseignement secondaire.
Après un interminable service militaire (27 mois, de janvier 1957 à fin février 1960 : c'était l'époque de la guerre d'Algérie), il reçut sa première affectation en 1959 en tant que professeur d'histoire-géographie au Collège national de jeunes filles d'Épernay. Bien qu'on ne l'ait jamais vu se plaindre, on devinait qu'il était très malheureux et qu'il était cruellement chahuté par ses élèves. Pas par toutes cependant : une de ses élèves de 4ème moderne, Monique Grosmaire demeurant à la Gendarmerie d'Aÿ, lui envoya 2 photos prises en classe, avec un mot gentil exprimant l'espoir de l'avoir encore comme professeur l'année suivante.
Un second essai au Lycée international de Fontainebleau où il fut livré à une horde de petits Canadiens et Américains s'avéra une épreuve encore plus terrible.
Finalement le ministère de l’Éducation nationale lui procura un emploi de traitement équivalent, un poste de rédacteur technique dans le département immobilier de la Caisse nationale d'assurance-maladie. Comme l'employé de banque Franz Kafka, c'est à un obscur gagne-pain qu'il consacra plus de trente années de sa vie avant de prendre sa retraite en 1998. Il n’eut pas le loisir d'en profiter longtemps, car il devait succomber à une insolation lors d'un voyage qu'il fit au Mali, le 27 avril 1999, à la grande surprise de ses frère et sœurs qui n'étaient pas informés de son départ.
Il mourut célibataire. Les femmes n'avaient en apparence joué aucun rôle dans sa vie. En réalité, ses poèmes montrent qu'il s'éprit le 29 juin 1953 d'une mystérieuse jeune fille rencontrée ce jour-là et dont le premier poème du recueil « D'un livre d'heures » livre le prénom sous forme d'acrostiche. Par la suite, ses textes le montrent amoureux de bien d'autres femmes mystérieuses qui croisent son chemin d'éternel adolescent.
Ses seules passions semblent avoir été la lecture, l'écoute de la musique et les voyages dans les pays lointains. Il fut un client fidèle des voyagistes et il y a peu de pays qu'il n'ait jamais visités. Ces passions dévorantes pour les livres et la musique classique le conduisirent à bourrer son studio – situé au-dessus du siège de l'entreprise familiale à Viroflay – de livres et de disques du plancher jusqu'au plafond. Mes parents auraient dû lui faire apprendre le piano ou quelque autre instrument, ce qui lui aurait permis de compenser son incommunicabilité pathologique.
Avec les années le beau jeune homme se transforma en un original, bohème et négligé, vivant dans la solitude la plus complète, et s'il fut un spectateur assidu de la vie culturelle de la capitale, c'est toujours seul qu'il allait au théâtre, à l'opéra, au cinéma aux conférences et aux expositions.
Malgré ce style de vie, il était tout le contraire d'un égoïste. Il était la bonté et la générosité mêmes. Bien qu'il se soit soucié comme d'une guigne de l'argent et du prestige social, il accepta d'occuper un poste à la direction de l'entreprise familiale que je dirigeais, uniquement pour assurer la survie de cette dernière, après le décès soudain de notre père en 1976. Plus de cent familles de nos salariés doivent à son abnégation d'avoir conservé leur source de revenus pendant plus de trente ans. Quand il mourut, le fragile équilibre entre les actionnaires fut définitivement détruit et la société dut être vendue.
Bien qu'il plaisantât souvent au cours des réunions familiales, je ne me souviens pas de l'avoir jamais vu pleurer, même à la mort de ses parents. C'était là la conséquence d'une infirmité psychique qui l'empêchait d'exprimer ses plus profondes émotions.
Michel n'était encore qu'un adolescent, lorsque mes parents découvrirent un jour un recueil de poèmes dont il n'avait parlé à personne. Mes parents eurent la mauvaise idée de ne pas respecter le secret dont Michel désirait s'entourer et firent des gorges chaudes de leur découverte. Désormais, Michel sembla cesser d'écrire...
Je me souviens d'une ligne d'un merveilleux poème de ce recueil secret où il était question de bateaux à voiles :
« Le vaisseau part de Carthagène... »
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MICHEL GALIANA
Michel Galiana's apparent life
During his lifetime, all anybody knew of my brother Michel, was what he wanted them to know.
He was my parents', Paul and Hélène Souchon, second child, born on 26th of January 1933. My father was a brilliant electrical engineer whose interests were confined to technique. My mother was a secretary born in Nantes in Southern Brittany. She devoted her life to raising her five children born between 1930 and 1945. The family lived at first in the 15th Paris district, not far from the Eiffel Tower till 1938, until they moved to a suburban town, Viroflay, next to Versailles. With the coming of a second daughter, my parents had a bungalow built on a small estate on the edge of the Meudon forest, in front of a stately 19th century manor with a beautifully timbered park. I mention these surroundings since they appear many times in my brother's poetry.
Young Michel went to school in Viroflay and by the end of the second world war was admitted to the highschool 'Lycée Hoche' in Versailles. There he studied humanistic curriculum and excelled in French, Latin, Spanish, English and History.
Once the headmaster summoned my father to his office and reprimanded him for writing Michel's home work essays. But in the meantime Michel had produced other essays written in the class room, proving that he was the true author of these masterworks - not his father. The headmaster apologized and prophesied: "Sir, if ever your name becomes famed, you will have to thank your son Michel for that.” My parents did not take this prophecy seriously, and did not give Michel the praise he craved. Michel decided to place the nom de plume Michel Galiana on his poems, thus depriving his family of any part in his fame, and nullifying the prophecy.
But Michel was a shy boy who tended to slouch: his voice never completely broke at the puberty. Therefore he seldom spoke and he hid in his room reading books morning, noon and night. Our father sometimes tried to frighten him into more common boyhood pursuits. But my brother usually ignored these fearsom tirades.
There were however happy spells in this reclusive life. In particular he loved the summer holidays that our family usually spent in Nantes with our grandparents, in their small ivy-covered house. It had an orchard, a vegetable garden and a tiny vineyard attached to it. My grandfather made a wine of his own that we children refused to drink snce it was an awful bitter brew. He was a picturesque character with a long beard, a former far-travelled sailor who had allegedly caused a mutiny on a ship in Indochina. He loved to sing old French operatic arias to which Michel listened with rapture. Nantes, at the time still accessible to overseas vessels, was a place likely to fire a poet's imagination, as it has stately monuments depicting the past splendour of the Dukes of Brittany. Several poems by Galiana allude to this happy time.
Michel entered around 1952-1953 Paris University where he studied History and Geography and obtained a Bachelor of arts degree. He knew that his cracking voice and his timidity were huge handicaps for a teacher's career. He applied for a couple of graduate highschools specializing in matters disconnected from teaching like managing museums or historical archives, such as the École des Chartres. This sort of jobs was mostly reserved for friends of people who have influence. Our father had enough influence and might have helped Michel, but he chose not to use it. So my brother resigned to his fate and passed the Certificate of Aptitude to become a teacher in the secondary education system.
After 27 months in military service (from January 1957 to the end of February 1960: France was waging war in Algeria), he was hired for his first real job as a history and geography teacher in a girl College at Épernay, amid the Champagne vineyards. Though he did not complain - he never did - it was evident that he was immensely unhappy because he was cruelly baited and ragged by his pupils. Not by all, however: one of his pupils, Monique Grosmaire, living at the Aÿ Gendarmerie barracks, sent him 2 photos taken in class, with a kind word expressing the hope of having him again as her teacher the following year.
A second attempt at Fontainebleau International College where his antagonists were little Canadians and Americans was still worse.
Eventually the Ministry of National Education found him a replacement job as a "technical redactor" in the real estate department of the National Health Administration. Like the bank clerk Franz Kafka, he depended on this lustreless job for his bread and cheese for over thirty years until he retired in 1998. He did not enjoy a long retirement, since he was to die on a tour to Mali in Black Africa, on April 27, 1999, to the great surprise of his siblings who were not informed of his trip.
He died a confirmed bachelor. Women had apparently played no role in his life. In fact, his poems were to reveal that he fell in love once when he was a teenager with a mysterious girl on 29th of June 1953. The poetry collection “Out of a Book of Hours” gives her first name in the form of acrostic. And his subsequent work shows him again and again infatuated with mysterious girls and women he came across, like an eternal teenager.
His sole passions seemed to have been reading, listening to music and traveling the world. He was a capital customer for tour operators and there was hardly a country in the world he had not visited. Due to his devouring passion for books and classical music his studio appartment situated above the offices of the family firm in Viroflay, was cramed with books and LP records from floor to ceiling. I wish my parents had allowed him to learn to play the piano or some instrument, since he was evidently a profound lover of music and playing an instrument would have been a mean to counteract his pathological incommunicability.
As time went by, the handsome youngster had grown into a self-neglecting shaggy character, as solitary as a barn owl, even if he lavishly availed himself of the cultural opportunities offered by the nearby capital: theatres, opera, cinemas, conferences and exhibitions, which he however always attended alone.
In spite of this solitary way of life, he was by no means an egoist. I seldom met such a generous and good fellow in all my life. Despite his disgust for money and social prestige, he agreed to take a position in the management of the family firm that I ran, to ensure its survival after our father's sudden death in 1976. Over a hundred families of our employees are indepted to his self-abnegation for having maintained their source of income for over thirty years. When he died the fragile balance among the shareholders was shattered and the firm had to be sold.
He often indulged in making jokes at family parties, but otherwise, he did not express his emotions publicly. I cannot remember having seeing him crying even when my parents died. It was the consequence of a psychic disease preventing him from expressing his deepest emotions.
When Michel was a teenager, our parents once discovered one of his hand-written manuscript that he had hidden. Our parents foolishly bragged to our neighbours about their son's talent, instead of respecting his privacy. After that Michel appeared to give up writing...
I remember a line out of a wonderful poem about a sailboat:
"Le vaisseau part de Carthagène";
“The vessel leaves from Cartagena…”
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