C'est lui qui a composé le "Chant de l'aire neuve", selon cette même table. Enfin c'est lui qui chanta La meunière de Pontaro, selon la table B. Gourvil, qui ne connaissait pas le contenu du manuscrit de Keransquer, tout en admettant que le texte ait pu transiter par Yves Péron, affirme que la source où a puisé La Villemarqué était une feuille volante imprimée par l'atelier de Lédan à Morlaix ou la chanson du manuscrit dudit Lédan côtoie une "Disput composet a nevez etre ul Leonard hag ur c'hernevod" (Dialogue nouveau entre un Léonard et un Cornouaillais) et un chant satirique sur les Tailleurs. Et il conclut "la complainte des Laboureurs est donc parvenue à notre auteur non par la tradition orale mais par une autre voie: celle de la chanson imprimée. |
He composed the "New Threshing Floor Song", as stated in the said table. Furthermore he sang The Pontaro miller's wife, as stated in table B. Francis Gourvil who was not aware of the content of the Keransquer, admitted however that this text might have been forwwarded to the Bard by Yves Péron. Yet he maintains that the ultimate source for La Villemarqué's poem was a broadside printed in Lédan's workshop in Morlaix whereon the song of the same Lédan's MS appears beside a "Disput composet a nevez etre ul Leonard hag ur c'hernevod" (Dialogue between a Léon and a Cornouaille native) and a satirical song about Tailors. His conclusion: "The lament of the Labourers was conveyed to the autor, not by oral tradition, but on another way: through printed broadsides". |
Français | English |
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1. Approchez tous, frères Bretons, pour écouter un chant: Sur la vie de nos laboureurs, composé récemment. Une existence sans repos ni le jour, ni la nuit. Mais qu'il prend en patience pour mériter le paradis. 2. Le laboureur doit travailler sans jamais se soucier du temps: Par la pire froidure ou sous les rayons d'un soleil ardent. Qu'il tonne ou vente, ou tombe neige, pluie, glace ou grêlons, Dans son champ il gagne son pain à la sueur de son front 3. Le plus souvent vêtu de toile grossière, il n'a pas toujours Le raffinement que l'on peut voir chaque jour aux gens des bourgs. Des haillons que la glèbe souille sont ses vêtements. Et les citadins qu'il nourrit crachent en l'apercevant. 4. Bien différent est le sort de ce misérable laboureur De celui du citadin qui, lui, coule des jours de bonheur: A l'un la viande ou le poisson, chaque jour, le pain blanc. A l'autre, pain sec et bouillie comme uniques aliments. 5. Le laboureur ne cesse de payer sans rime ni raison. Il doit payer la taille au roi, tous les ans, à chaque saison. Quand il lui faut payer son maître et qu'il n'a pas l'argent, On fait bon marché de son bien, il est la proie du tourment. 6. Et pour ses obsèques encore à son recteur il doit payer Comme l'exige la coutume qu'on se doit de respecter! Denier du culte, aumône aux pauvres payer il devra; Et les gages des serviteurs, pour qu'ils ne désertent pas. 7. Après cela le laboureur, s'il doit faire un jour un procès, Verra par les hommes de loi ses biens mis en coupe réglée. Il sera dépouillé du peu de biens qui fut le sien, Et toutes ses protestations ne lui serviront de rien. 8. Et s'il arrive que, parfois, on le voit qui compte les sous Economisés à grand peine après avoir joint les deux bouts, Le citadin se rie de lui, ne fait que le huer Et cherche à les lui prendre en l'accablant de ses quolibets. 9. Enfin, en quelque endroit qu'il aille, on dit du mal du laboureur. Il demeure en butte au mépris de tous ses calomniateurs. Et pourtant si l'on voulait bien y réfléchir un peu, Le monde tourne grâce à la force des bras de ce gueux. 10. Voilà donc quelle est notre vie, voilà donc notre sort cruel! Notre sort est bien pitoyable et pâle notre étoile au ciel. Un pénible état sans repos, ni le jour, ni la nuit! Mais nous l'endurons de bon cœur pour gagner le paradis! [1] Traduction Christian Souchon (c) 2007 [1] La dernière strophe de la feuille volante de l'imprimerie Lédan, est bien différente de la conclusion moralisatrice de la strophe 10 qui n'a pas d'équivalent dans le manuscrit de Keransquer: "Cette chanson-ci se chante entre nous, Bretons. Sur un air excellent elle vient d'être composée. Je vous supplie donc d'en acheter chacun une copie Pour la lire et passer votre chagrin et votre tristesse." |
1. Come nearer, Breton brethren all, come and listen to a chant About the ploughman's way of life, It's a song that's quite recent. A cruel, wearisome way of life, without rest, day or night. But which he accepts patiently, as he hopes for paradise. 2. The ploughman, aye, is doomed to work, whatever weather may be. He must work when it's icy cold, or in the most scorching heat. It may freeze, hail, rain, snow, the sky by thunder may be rent, You'll always see him in his field, and on his work, double bent. 3. A ploughman's clothes are mostly made of linen rough and crude. He does not every day wear fine attire as town dwellers would. His garments are mere rags and shreds and soiled by gummy earth And city dwellers on seeing them, spit out, filled with disgust. 4. Unlike will always be the fate keeps ploughmen under its spell Of weariness and that of all those as in cities dwell, Who can have meals of meat or fish every day and white bread. The ploughman porridge, a dry loaf with some hot water, instead. 5. The ploughman must pay, pay again, all his wearisome lifetime: He pays the taxes to the king, every year, three or four times. Whenever for want of money landowner's rent is due He forfeits his gear and his good: presently he'll be ruined. 6. And even for his funeral to the parson he must pay, As custom has it. It's a thing that nobody can gainsay. He gives for the priest's collection and gives alms to the poor, Their wages to his servants as to make their faithfulness sure. 7. The ploughman may well happen, in spite of his pains to be sued. By men of law and lawyers he may well be stripped of his good. The little bit of good he had will soon be gone away. He will see how his fortune melts and has no word to say. 8. And if he sometimes happens to count money of his own, The little money he could spare when his utmost he has done, The city folks make fun of him, are bold enough to boo; And if they can, steal it from him, and find it right to do. 9. Wherever you may go, the most unfortunate ploughman Is despised by all people and looked upon with disdain. And yet these folks if they would think of it just for a while, Would know that all of them would starve, but for the ploughmen so vile. 10. Such is, alas, the ploughman's life, altogether hard and cruel . His state is miserable, as is ruthless his fate's rule. This tiresome burden weighing on him, relentless, day and night, He will, aye, suffer patiently and hope for paradise. Translated by Chr. Souchon (c) 2007 [1] The last verse on the broadside from Lédan's printing house, differs a great deal from the edifying conclusion in stanza 10 which has no counterpart in the Keransquer MS: "The present song is sung among us, Bretons. To an excellent tune quite recently it was composed. Therefore, I entreat to buy each a copy So that, reading it, it may assuage your pain and your spleen." |
Résumé Un tableau saisissant de la situation misérable des paysans bretons au XVIIème siècle, qui restait encore valable du temps de La Villemarqué: travail pénible, impôts innombrables, aucune reconnaissance sociale... Il est dit également que le laboureur est grugé avidement par les hommes de loi: On peut penser qu'il y a là une allusion spéciale à la situation injuste faite aux bretonnants, mis dans l'impossibilité de plaider dans leur langue maternelle et d'avoir prise sur la façon dont était assurée leur défense. Ce problème a été résolu de la pire des façons: l'éradication de l'idiome local... L'opium du peuple Le 4ème vers du poème chanté par Yvon Péron, les modifications apportées par La Villemarqué, en particulier la 10ème strophe qu'il a ajoutée et, avant tout, les "arguments" et "notes et commentaires" des 3 éditions, 1839, 1845 et 1867 (deux sous la Monarchie de juillet et une sous le Second empire) sont autant d'illustrations, voire de caricatures (involontaires) de l'adage marxiste qui veut que "la religion soit l'opium du peuple". C'est l'opium du peuple de France Lui supprimer, c'est le tuer C'est une drogue à accoutumance". Cette fois, il ne s'agit ni d'un homme politique, ni d'un philosophe, mais d'un poète, le chanteur Renaud Séchan. Chants à la gloire et à la charge de l'agriculture Un autre chant sur le même thème, mais d'une tout autre tonalité, a été collecté, sinon réécrit, par Loeiz Herrieu: Al Labourerien. Il développe le couplet 9 du chant du Barzhaz, ajouté par La Villemarqué pour proclamer l'utilité sociale de l'agriculture. En revanche, le chant vannetais (dont voici la mélodie), publié par l'Abbé François Cadic dans la "Paroisse bretonne" de mars 1900, ressemble fort à celui du Barzhaz. Il énumère le même genre de sujétions auxquelles est soumis l'agriculteur: celui-ci est grugé par le meunier, ruiné par l'impôt et le fermage qu'il doit acquitter sous peine de voir ses meubles vendus à l'encan; il lui faut donner aux quêtes des prêtres, faire l'aumône aux pauvres et payer les serviteurs; le mariage des enfants est source de dépenses énormes, auxquelles s'ajoute la dot, quand c'est une fille: si la dot tarde à venir, la fille risque d'être battue par son époux; enfin le risque d'incendie qui ravage les maisons et les biens. Outre la 9ème strophe, il ne manque que la 10ème strophe, celle sur la récompense dans l'au-delà ajoutée par La Villemarqué au chant d'Yves Péron. Comme dans le manuscrit de Keransquer, le seul vers optimiste est le 4ème: "Ion e souffré get patianted aveit gouni er baradoz", "Il le supporte avec patience pour gagner le paradis". pendant exact de celui du Barzhaz. Tout le reste n'est que récriminations, ce qui n'empêche pas le bon Abbé d'écrire que son chant "traduit à merveille l'âme du paysan breton [et qu'il] dit l'espérance et la résignation du chrétien qui, à travers ses larmes, trouve la force de regarder vers le ciel". |
Résumé A striking picture of the pitiable state of Breton country folks in the 17th century, which was still valid in the days of La Villemarqué: tiresome work, countless taxes, no social acknowledgment... The song also states that the ploughman is greedily duped by the men of law: This may be a hint at the injustice done to Breton speaking people, who found it impossible to plead in their mother tongue so that the way they were defended by their lawyers was beyond their control. The problem was solved in the worst possible way: eradicating a local language... The opium of the people The fourth line of the poem sung by Yvon Péron, the changes made by La Villemarqué, especially the appended 10th stanza, and above all, the "Arguments" and the "Notes and comments" attached to the song in the successive 1839, 1845 and 1867 editions (two of them published in the time of the July Monarchy, one of the Second Empire) are as many illustrations, if not (unintentional) caricatures to the Marxist saying to the effect that "Religion is opium for the people". irritating, numbing, calming their pain out of weakness." (Introduction of Marx' 1844 work Contribution to Critique of Hegel's "Philosophy of Right"). They are a Frenchman's opium Withdraw them and you will kill him These are drugs causing addiction". The author of this aphorism is neither a politician, nor a philosopher, but a poet, the songster Renaud Séchan. Eulogy and malediction of agriculture Another song on the same topic, but in another tone, was gathered, and, to a large extent, rewritten by Loeiz Herrieu: Al Labourerien. It elaborates on stanza 9 of the Barzhaz song, which Lavillemarqué added to extol the social merits of agriculture. On the other hand, the song in Vannes dialect (click here for the tune), published by the Reverend François Cadic in the journal "Paroisse bretonne" in March 1900, is very like the Barzhaz song. It is a register of the sufferings inflicted to ploughmen: he is fooled by the miller, ruined by taxes and rents which he must pay or his property coud be sold by auction; he must give alms to priests and beggars and pay his servants; he incurs huge expenses when his children wed, especially if it is a daughter who must have a dowry: if the payment is delayed, the bride will be beaten by her husband; last, the risk of a fire that could devastate house and goods. Beside the 9th stanza, the 10th stanza of the Barzhaz is missing, the stanza of the reward in the otherworld appended by La Villemarqué to Yves Péron's lament. So that the only hopeful line ist the fourth: "Ion e souffré get patianted aveit gouni er baradoz", "He suffers it patiently to merit the paradise". which is, but for the dialect, identical with the 4th line in the Barzhaz. This preponderantly querulous tone does not prevent the Abbé from stating that his song "wonderfully reflects the frame of mind of the Breton farmer and expresses the expectant resignation of Christians who, though their eyes are brimming with tears, brace themselves to look up to heaven". |
1839 | 1845 | 1867 |
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ARGUMENT.(1839) La classe des habitants des campagnes qui nous intéresse spécialement ici, se divisait au moyen âge en Bretagne , à peu près comme aujourd'hui en pauvres, fermiers, domaniers et propriétaires. Il est triste de songer que l' on n’a encore rien fait dans l’intérêt des classes pauvres de nos campagnes; que leur état n'a point été amélioré; qu'elles souffrent toujours; que leur vie est un long tissu de misères qui les a enveloppées au berceau et doit leur servir de linceul. Mais laissons les parler d'elles-mêmes. NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. (1839) Cette admirable résignation chrétienne, le paysan breton la porte partout au fond de son cœur ; elle se montre dans toutes les circonstances de sa vie. Sa chaumière est-elle la proie des flammes? il la regarde brûler; il ne pleure point, il n’éclate point en cris, il ne maudit personne; il incline la tête, et dit tristement comme Job: « Que la volonté de Dieu soit faite!» Et, quand il ne reste plus de sa cabane que les quatre murs, il va mendier de porte en porte quelque argent pour la rebâtir. Cette résignation le suit jusqu’au lit de mort ; il quitte sans regret une vie misérable qu’il a prise en patience pour mériter le ciel. ************************* Remarque à propos des "Notes" de La Villemarqué Jean-Pierre Leguay et Hervé Martin, dans leurs "Fastes et malheurs de la Bretagne Ducale 1212 - 1532" (1982, Ouest-France Université), distinguent ces "Différentes catégories de paysans armoricains" au 15ème siècle: |
ARGUMENT.(1846) La classe des paysans bretons qui nous intéressent spécialement ici, se divise en pauvres, fermiers, domaniers et propriétaires. Il est triste de songer qu’à une époque où l’on parle tant d’améliorer le sort du peuple, on n’ait encore rien fait dans l’intérêt des classes pauvres de nos campagnes; elles sont peu à craindre, il est vrai, car elles sont chrétiennes, et, tandis qu’ailleurs, le paysan incrédule maudit la terre qu’il travaille et le maître qu’il lui faut payer, l’agriculteur breton, levant les yeux au ciel, et voyant briller l’immortelle aurore, chante ainsi pour se consoler. NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. (1846) Cette admirable résignation chrétienne, le paysan breton la porte partout au fond de son cœur ; elle se montre dans toutes les circonstances de sa vie. Sa chaumière est-elle la proie des flammes ? il la regarde brûler ; il ne pleure point, il n’éclate point en cris, il ne maudit personne ; il incline la tête, et dit tristement comme Job : « Que la volonté de Dieu soit faite ! » Puis, quand il ne reste plus de sa cabane que les quatre murs, il va mendier de porte en porte, en chantant lui-même son malheur, quelque argent pour la rebâtir. Cette résignation le suit jusqu’au lit de mort ; il quitte sans regret une vie misérable qu’il a prise en patience pour mériter le ciel. ************************* Le métayer se distingue du fermier soumis au paiement d'un loyer fixe, par le fait qu'il abandonne à son maître une partie de sa récolte ou du croît du cheptel: le quart, le tiers ("quarte ou tierce gerbe") ou la moitié ("mi-fruit") suivant les cas. Le maître supporte une partie des frais d'exploitation (outils, semences, engrais...) de la métairie. |
ARGUMENT.(1867) La classe des paysans bretons qui nous intéressent spécialement ici, se divise en pauvres, fermiers, domaniers et propriétaires. Il est triste de songer qu’à une époque où l’on parle tant d’améliorer le sort du peuple, on n’ait encore si peu fait dans l’intérêt des classes pauvres des campagnes bretonnes; elles sont peu à craindre, il est vrai, car elles sont chrétiennes, et, tandis qu’ailleurs, le paysan incrédule maudit la terre qu’il travaille et le maître qu’il lui faut payer, l’agriculteur breton, levant les yeux au ciel, et voyant briller l’immortelle aurore, chante la touchante complainte que voici. NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. (1867) De cette peinture naïve que le paysan a faite de ses misères au dix-septième siècle, et qui est toujours vraie, on ne peut s'empêcher de rapprocher le célèbre tableau qu'a tracé la Bruyère du paysan français, à la même époque: quoique reproduit bien souvent, il a ici sa place marquée: "L'on voit ici certains animaux farouches,...qu'ils ont semé". Quand le grand moraliste représente ainsi, non sans compassion, cette espèce d'animaux de son pays, comment aurait-il peint ceux du même genre répandus dans les campagnes bretonnes? Et cependant il se fût trompé; là où il n'eût plus vu même des hommes, il y avait des chrétiens, et ils lui eussent offert le type de la plus admirable résignation. Le paysan breton porte cette vertu partout; elle se montre dans toutes les circonstances de sa vie. Sa chaumière est-elle la proie des flammes ? il ne pleure point, il n’éclate point en cris, il ne maudit personne ; il incline la tête, et dit tristement comme Job: « Que la volonté de Dieu soit faite!» Puis, quand il ne reste plus de sa cabane que les quatre murs, il va mendier de porte en porte, en chantant parfois lui-même son malheur, quelque argent pour la rebâtir. Cette résignation le suit jusqu’au lit de mort ; il quitte sans regret une vie misérable qu’il a prise en patience pour mériter le ciel. ************************* On reconnaît dans ces "valets ou quévaisiers", ces "féagers" et ces "convenanciers" les "pauvres", les "fermiers" et les "domaniers" distingués par La Villemarqué. La mention par ce dernier des "propriétaires", peu nombreux, traduit sans doute une légère amélioration du sort de certains exploitants agricoles bretons entre le 15ème et le 19ème siècle. Dans le chant "Ar saboter koad" N° 2, 4ème strophe, le mot "koumanant" (convenant) s'applique à la parcelle de bois concédée au sabotier. |