Les laboureurs

The Ploughmen

Dialecte de Léon

  • Première publication dans la première édition du Barzhaz de 1839 (tome II).
  • - Chanté par Yvon Péron (1792-1868) de Lustumini en Nizon, selon la "Table A"
    C'est lui qui a composé le "Chant de l'aire neuve", selon cette même table.
    Enfin c'est lui qui chanta La meunière de Pontaro, selon la table B.
  • Figure dans le 1er manuscrit de Keransquer sous le titre "Al Labourerien" pp. 75-76 et 81 à quoi il convient d'ajouter, sous le titre "Labourer, pederved poan", une strophe, page 292.
  • Collecté une seule fois en dehors du Barzhaz: Manuscrit Lédan I: "Chanson war sujet al labourerien-douar (1815), cité dans le catalogue Ollivier des feuilles volantes sous les N°500 et 564; texte reproduit par Francis Gourvil dans "La Villemarqué et le Barzaz-Breiz", 1960, page 567 (extrait d'une feuille volante de 8 pages, pratiquement identique à celui du ms de Keransquer).
    Gourvil, qui ne connaissait pas le contenu du manuscrit de Keransquer, tout en admettant que le texte ait pu transiter par Yves Péron, affirme que la source où a puisé La Villemarqué était une feuille volante imprimée par l'atelier de Lédan à Morlaix ou la chanson du manuscrit dudit Lédan côtoie une "Disput composet a nevez etre ul Leonard hag ur c'hernevod" (Dialogue nouveau entre un Léonard et un Cornouaillais) et un chant satirique sur les Tailleurs. Et il conclut "la complainte des Laboureurs est donc parvenue à notre auteur non par la tradition orale mais par une autre voie: celle de la chanson imprimée.
  • First published in the 1839 first edition of the Barzhaz (book II).
  • Sung by Yvon Péron (1792-1868) from Lustumini near Nizon, as stated in "Table A".
    He composed the "New Threshing Floor Song", as stated in the said table.
    Furthermore he sang The Pontaro miller's wife, as stated in table B.
  • A hand-written version titled "Al labourerien" exists in the 1st Keransquer MS on pages 75-76 and 81 with an additional stanza titled "Labourer, pederved poan", on page 292.
  • Only one record, apart from the Barzhaz: MS Lédan I: "Chanson war sujet al labourerien-douar (1815), quoted in the Ollivier broadside catalogue under N°500 and 564; text printed by Francis Gourvil in his "La Villemarqué et le Barzaz-Breiz", 1960, page 567 (Excerpt from an 8-page pamphlet, nearly identical with the lyrics of the Keransquer MS).
    Francis Gourvil who was not aware of the content of the Keransquer, admitted however that this text might have been forwwarded to the Bard by Yves Péron. Yet he maintains that the ultimate source for La Villemarqué's poem was a broadside printed in Lédan's workshop in Morlaix whereon the song of the same Lédan's MS appears beside a "Disput composet a nevez etre ul Leonard hag ur c'hernevod" (Dialogue between a Léon and a Cornouaille native) and a satirical song about Tailors. His conclusion: "The lament of the Labourers was conveyed to the autor, not by oral tradition, but on another way: through printed broadsides".


  • Mélodie - Tune 1
    Sol majeur, arrangement : Friedrich Silcher
    Dans la version originale, le tempo est "religioso" avec une alternance 2/4 et 3/4

    Français English
    1. Approchez tous, frères Bretons, pour écouter un chant:
    Sur la vie de nos laboureurs, composé récemment.
    Une existence sans repos ni le jour, ni la nuit.
    Mais qu'il prend en patience pour mériter le paradis.

    2. Le laboureur doit travailler sans jamais se soucier du temps:
    Par la pire froidure ou sous les rayons d'un soleil ardent.
    Qu'il tonne ou vente, ou tombe neige, pluie, glace ou grêlons,
    Dans son champ il gagne son pain à la sueur de son front

    3. Le plus souvent vêtu de toile grossière, il n'a pas toujours
    Le raffinement que l'on peut voir chaque jour aux gens des bourgs.
    Des haillons que la glèbe souille sont ses vêtements.
    Et les citadins qu'il nourrit crachent en l'apercevant.

    4. Bien différent est le sort de ce misérable laboureur
    De celui du citadin qui, lui, coule des jours de bonheur:
    A l'un la viande ou le poisson, chaque jour, le pain blanc.
    A l'autre, pain sec et bouillie comme uniques aliments.

    5. Le laboureur ne cesse de payer sans rime ni raison.
    Il doit payer la taille au roi, tous les ans, à chaque saison.
    Quand il lui faut payer son maître et qu'il n'a pas l'argent,
    On fait bon marché de son bien, il est la proie du tourment.

    6. Et pour ses obsèques encore à son recteur il doit payer
    Comme l'exige la coutume qu'on se doit de respecter!
    Denier du culte, aumône aux pauvres payer il devra;
    Et les gages des serviteurs, pour qu'ils ne désertent pas.

    7. Après cela le laboureur, s'il doit faire un jour un procès,
    Verra par les hommes de loi ses biens mis en coupe réglée.
    Il sera dépouillé du peu de biens qui fut le sien,
    Et toutes ses protestations ne lui serviront de rien.

    8. Et s'il arrive que, parfois, on le voit qui compte les sous
    Economisés à grand peine après avoir joint les deux bouts,
    Le citadin se rie de lui, ne fait que le huer
    Et cherche à les lui prendre en l'accablant de ses quolibets.

    9. Enfin, en quelque endroit qu'il aille, on dit du mal du laboureur.
    Il demeure en butte au mépris de tous ses calomniateurs.
    Et pourtant si l'on voulait bien y réfléchir un peu,
    Le monde tourne grâce à la force des bras de ce gueux.

    10. Voilà donc quelle est notre vie, voilà donc notre sort cruel!
    Notre sort est bien pitoyable et pâle notre étoile au ciel.
    Un pénible état sans repos, ni le jour, ni la nuit!
    Mais nous l'endurons de bon cœur pour gagner le paradis! [1]

    Traduction Christian Souchon (c) 2007

    [1] La dernière strophe de la feuille volante de l'imprimerie Lédan, est bien différente de la conclusion moralisatrice de la strophe 10 qui n'a pas d'équivalent dans le manuscrit de Keransquer:

    "Cette chanson-ci se chante entre nous, Bretons.
    Sur un air excellent elle vient d'être composée.
    Je vous supplie donc d'en acheter chacun une copie
    Pour la lire et passer votre chagrin et votre tristesse."

    1. Come nearer, Breton brethren all, come and listen to a chant
    About the ploughman's way of life, It's a song that's quite recent.
    A cruel, wearisome way of life, without rest, day or night.
    But which he accepts patiently, as he hopes for paradise.

    2. The ploughman, aye, is doomed to work, whatever weather may be.
    He must work when it's icy cold, or in the most scorching heat.
    It may freeze, hail, rain, snow, the sky by thunder may be rent,
    You'll always see him in his field, and on his work, double bent.

    3. A ploughman's clothes are mostly made of linen rough and crude.
    He does not every day wear fine attire as town dwellers would.
    His garments are mere rags and shreds and soiled by gummy earth
    And city dwellers on seeing them, spit out, filled with disgust.

    4. Unlike will always be the fate keeps ploughmen under its spell
    Of weariness and that of all those as in cities dwell,
    Who can have meals of meat or fish every day and white bread.
    The ploughman porridge, a dry loaf with some hot water, instead.

    5. The ploughman must pay, pay again, all his wearisome lifetime:
    He pays the taxes to the king, every year, three or four times.
    Whenever for want of money landowner's rent is due
    He forfeits his gear and his good: presently he'll be ruined.

    6. And even for his funeral to the parson he must pay,
    As custom has it. It's a thing that nobody can gainsay.
    He gives for the priest's collection and gives alms to the poor,
    Their wages to his servants as to make their faithfulness sure.

    7. The ploughman may well happen, in spite of his pains to be sued.
    By men of law and lawyers he may well be stripped of his good.
    The little bit of good he had will soon be gone away.
    He will see how his fortune melts and has no word to say.

    8. And if he sometimes happens to count money of his own,
    The little money he could spare when his utmost he has done,
    The city folks make fun of him, are bold enough to boo;
    And if they can, steal it from him, and find it right to do.

    9. Wherever you may go, the most unfortunate ploughman
    Is despised by all people and looked upon with disdain.
    And yet these folks if they would think of it just for a while,
    Would know that all of them would starve, but for the ploughmen so vile.

    10. Such is, alas, the ploughman's life, altogether hard and cruel .
    His state is miserable, as is ruthless his fate's rule.
    This tiresome burden weighing on him, relentless, day and night,
    He will, aye, suffer patiently and hope for paradise.

    Translated by Chr. Souchon (c) 2007

    [1] The last verse on the broadside from Lédan's printing house, differs a great deal from the edifying conclusion in stanza 10 which has no counterpart in the Keransquer MS:

    "The present song is sung among us, Bretons.
    To an excellent tune quite recently it was composed.
    Therefore, I entreat to buy each a copy
    So that, reading it, it may assuage your pain and your spleen."



    Brezhoneg

    Cliquer ici pour lire les textes bretons (versions imprimée et manuscrite).
    For Breton texts (printed and ms), click here.


    Résumé
    Un tableau saisissant de la situation misérable des paysans bretons au XVIIème siècle, qui restait encore valable du temps de La Villemarqué: travail pénible, impôts innombrables, aucune reconnaissance sociale...
    Il est dit également que le laboureur est grugé avidement par les hommes de loi:
    On peut penser qu'il y a là une allusion spéciale à la situation injuste faite aux bretonnants, mis dans l'impossibilité de plaider dans leur langue maternelle et d'avoir prise sur la façon dont était assurée leur défense. Ce problème a été résolu de la pire des façons: l'éradication de l'idiome local...

    L'opium du peuple
    Le 4ème vers du poème chanté par Yvon Péron, les modifications apportées par La Villemarqué, en particulier la 10ème strophe qu'il a ajoutée et, avant tout, les "arguments" et "notes et commentaires" des 3 éditions, 1839, 1845 et 1867 (deux sous la Monarchie de juillet et une sous le Second empire) sont autant d'illustrations, voire de caricatures (involontaires) de l'adage marxiste qui veut que "la religion soit l'opium du peuple".
  • L'adage n'est d'ailleurs pas si marxiste que cela: Vers 1801, le marquis de Sade faisait dire à son héroïne "Juliette" qui explique au roi Ferdinand les conséquences de sa politique:
    "Tu redoutes l'œil puissant du génie, voilà pourquoi tu favorises l'ignorance. C'est de l'opium que tu fais prendre à ton peuple, afin qu'engourdi par ce somnifère, il ne sente pas les plaies dont tu le déchires".
  • A moins qu'il ne faille voir l'inventeur de cette image dans l'écrivain allemand Novalis qui écrivait en 1798:
    "Leur soi-disant religion n'agit que comme un opiat: elle excite, elle endort, provoquant la faiblesse elle apaise les maux".
  • Quant à la citation exacte de Marx, c'est la suivante:
    "La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit des conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple." (Karl Marx et Engels, "Contribution à la critique de "La philosophie du droit" de Hegel", 1844).
  • On peut préférer une formulation plus moderne, celle d'Albert Jacquard, né en 1925, dans "Petite philosophie à l'usage des non-philosophes", 1997:
    "L'évocation d'un paradis à gagner en acceptant les misères du monde présent a été une véritable drogue évitant la révolte des exploités. La religion catholique n'a pas fini de payer sa compromission avec ce détournement des paroles de l'Evangile."
  • Elle l'a payée en effet: elle a laissé la place à d'autres "sources d'apaisement utile au fonctionnement de la République" (pour reprendre les mots d'un homme politique contemporain):
    "La bagnole, la télé, le tiercé
    C'est l'opium du peuple de France
    Lui supprimer, c'est le tuer
    C'est une drogue à accoutumance".
    Cette fois, il ne s'agit ni d'un homme politique, ni d'un philosophe, mais d'un poète, le chanteur Renaud Séchan.

    Chants à la gloire et à la charge de l'agriculture
    Un autre chant sur le même thème, mais d'une tout autre tonalité, a été collecté, sinon réécrit, par Loeiz Herrieu: Al Labourerien. Il développe le couplet 9 du chant du Barzhaz, ajouté par La Villemarqué pour proclamer l'utilité sociale de l'agriculture.

    En revanche, le chant vannetais (dont voici la mélodie), publié par l'Abbé François Cadic dans la "Paroisse bretonne" de mars 1900, ressemble fort à celui du Barzhaz. Il énumère le même genre de sujétions auxquelles est soumis l'agriculteur: celui-ci est grugé par le meunier, ruiné par l'impôt et le fermage qu'il doit acquitter sous peine de voir ses meubles vendus à l'encan; il lui faut donner aux quêtes des prêtres, faire l'aumône aux pauvres et payer les serviteurs; le mariage des enfants est source de dépenses énormes, auxquelles s'ajoute la dot, quand c'est une fille: si la dot tarde à venir, la fille risque d'être battue par son époux; enfin le risque d'incendie qui ravage les maisons et les biens. Outre la 9ème strophe, il ne manque que la 10ème strophe, celle sur la récompense dans l'au-delà ajoutée par La Villemarqué au chant d'Yves Péron. Comme dans le manuscrit de Keransquer, le seul vers optimiste est le 4ème:
    "Ion e souffré get patianted aveit gouni er baradoz",
    "Il le supporte avec patience pour gagner le paradis".
    pendant exact de celui du Barzhaz. Tout le reste n'est que récriminations, ce qui n'empêche pas le bon Abbé d'écrire que son chant
    "traduit à merveille l'âme du paysan breton [et qu'il] dit l'espérance et la résignation du chrétien qui, à travers ses larmes, trouve la force de regarder vers le ciel".
  • Résumé
    A striking picture of the pitiable state of Breton country folks in the 17th century, which was still valid in the days of La Villemarqué: tiresome work, countless taxes, no social acknowledgment...
    The song also states that the ploughman is greedily duped by the men of law:
    This may be a hint at the injustice done to Breton speaking people, who found it impossible to plead in their mother tongue so that the way they were defended by their lawyers was beyond their control. The problem was solved in the worst possible way: eradicating a local language...

    The opium of the people
    The fourth line of the poem sung by Yvon Péron, the changes made by La Villemarqué, especially the appended 10th stanza, and above all, the "Arguments" and the "Notes and comments" attached to the song in the successive 1839, 1845 and 1867 editions (two of them published in the time of the July Monarchy, one of the Second Empire) are as many illustrations, if not (unintentional) caricatures to the Marxist saying to the effect that "Religion is opium for the people".
  • Is it really a "Marxist" saying? Around 1801, Marquis de Sade's heroine "Juliette" explained to king Ferdinand the consequences of his policies as follows:
    "You fear the powerful eye of genius. That is why you encourage ignorance. This opium you feed your people, so that, drugged, they do not feel their hurts, inflicted by you."
  • But perhaps the inventor of this image was the German author Novalis who wrote in 1798, in "Blütenstaub":
    "Their so-called religion acts merely as an opiate:
    irritating, numbing, calming their pain out of weakness."
  • As to Marx' exact quotation it reads as follows:
    Religion is the sigh of the oppressed creature, the heart of a heartless world, and the soul of soulless conditions. It is the opium of the people."
    (Introduction of Marx' 1844 work Contribution to Critique of Hegel's "Philosophy of Right").
  • The same idea was updated, using a simpler wording, by the French scientist Albert Jacquard (born 1925) in "Small philosophy for non-philosophers",1997:
    "The mirage of paradise that will be gained as a reward for their sufferings endured here below, was used as a true painkiller to prevent the oppressed from rebelling. The Catholic religion has not yet atoned for its indulging in this misrepresentation of the Holy Scriptures."
  • Yet it did: it had to yield to "New soothing sources ensuring the smooth working of the institutions of the Republic", (as a politician of our day put it):
    "Buggy, telly, forecast betting
    They are a Frenchman's opium
    Withdraw them and you will kill him
    These are drugs causing addiction".
    The author of this aphorism is neither a politician, nor a philosopher, but a poet, the songster Renaud Séchan.

    Eulogy and malediction of agriculture
    Another song on the same topic, but in another tone, was gathered, and, to a large extent, rewritten by Loeiz Herrieu: Al Labourerien. It elaborates on stanza 9 of the Barzhaz song, which Lavillemarqué added to extol the social merits of agriculture.

    On the other hand, the song in Vannes dialect (click here for the tune), published by the Reverend François Cadic in the journal "Paroisse bretonne" in March 1900, is very like the Barzhaz song. It is a register of the sufferings inflicted to ploughmen: he is fooled by the miller, ruined by taxes and rents which he must pay or his property coud be sold by auction; he must give alms to priests and beggars and pay his servants; he incurs huge expenses when his children wed, especially if it is a daughter who must have a dowry: if the payment is delayed, the bride will be beaten by her husband; last, the risk of a fire that could devastate house and goods. Beside the 9th stanza, the 10th stanza of the Barzhaz is missing, the stanza of the reward in the otherworld appended by La Villemarqué to Yves Péron's lament. So that the only hopeful line ist the fourth:
    "Ion e souffré get patianted aveit gouni er baradoz",
    "He suffers it patiently to merit the paradise".
    which is, but for the dialect, identical with the 4th line in the Barzhaz. This preponderantly querulous tone does not prevent the Abbé from stating that his song
    "wonderfully reflects the frame of mind of the Breton farmer and expresses the expectant resignation of Christians who, though their eyes are brimming with tears, brace themselves to look up to heaven".

  • .

    "Argument" et "Notes" des différentes éditions

    "Argument" and "Notes" in the successive editions

    1839 1845 1867
    ARGUMENT.(1839)

    La classe des habitants des campagnes qui nous intéresse spécialement ici, se divisait au moyen âge en Bretagne , à peu près comme aujourd'hui en pauvres, fermiers, domaniers et propriétaires.
  • Le pauvre (nous en avons déjà parlé) n’est point chez nous, le rebut de la société : il est aimé, estimé, honoré de tous; on sait que ses haillons peuvent se changer un jour en vêtements de gloire; il habite une cabane couverte en genêts; il n’a qu’un champ ou "courtil", où croît le chanvre dont il s’habille et l’herbe dont se nourrit sa vache, qui partage avec lui son toit ; il mendie devenu vieux, et travaille lorsqu’il est jeune.
  • Le fermier, comme partout ailleurs, laboure les terres de son maître ;
  • le domanier en a l’usufruit, mais non pas la propriété ; les édifices seuls lui appartiennent, et lui peuvent être remboursés par congément. Quelquefois il achète son domaine, qu’il ne craint jamais de payer trop cher, si c’est le lieu de sa naissance, et il entre dans la classe des
  • propriétaires, classe peu nombreuse, plus indépendante, et qui forme, dans la chaîne sociale, l’anneau qui lie le paysan au bourgeois.

    Il est triste de songer que l' on n’a encore rien fait dans l’intérêt des classes pauvres de nos campagnes; que leur état n'a point été amélioré; qu'elles souffrent toujours; que leur vie est un long tissu de misères qui les a enveloppées au berceau et doit leur servir de linceul. Mais laissons les parler d'elles-mêmes.

    NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. (1839)

    Cette admirable résignation chrétienne, le paysan breton la porte partout au fond de son cœur ; elle se montre dans toutes les circonstances de sa vie. Sa chaumière est-elle la proie des flammes? il la regarde brûler; il ne pleure point, il n’éclate point en cris, il ne maudit personne; il incline la tête, et dit tristement comme Job: « Que la volonté de Dieu soit faite!» Et, quand il ne reste plus de sa cabane que les quatre murs, il va mendier de porte en porte quelque argent pour la rebâtir. Cette résignation le suit jusqu’au lit de mort ; il quitte sans regret une vie misérable qu’il a prise en patience pour mériter le ciel.

    *************************

    Remarque à propos des "Notes" de La Villemarqué

    Jean-Pierre Leguay et Hervé Martin, dans leurs "Fastes et malheurs de la Bretagne Ducale 1212 - 1532" (1982, Ouest-France Université), distinguent ces "Différentes catégories de paysans armoricains" au 15ème siècle:
  • Au bas de l'échelle paysanne...les "valets" salariés vivant de "leurs journées"... un sous prolétarariat... qui pratique des activités d'appoint (tissage, pêche, couture...quelques-uns cultivent de minuscules lopins de terre...Dans les Monts d'Arrée ...on rencontre des "quévaisiers" ("kem"=avec, "maes"=champ plat) dont les tenures ou "hostises", nées des grands déchiffrements des terres cisterciennes ou templières, comprend un logis, un courtil et une terre de labour d'un "journal" (48 ares) exempts de redevances. Le paysan a libre accès aux pâtures indivises des village. Il peut aussi entreprendre des cultures sur ces "communaux" en versant 15% de sa récolte ("champart") à l'abbé ou au commandeur. Au décès de ses parents, c'est le plus jeune enfant qui hérite de la maison et de l'exploitation ("juveignerie"). En l'absence d'héritier, la "quévaise" retourne au seigneur. A l'origine il était interdit de détenir deux tenure. Au 15ème siècle, ces usages tombent en désuétude...
  • ARGUMENT.(1846)

    La classe des paysans bretons qui nous intéressent spécialement ici, se divise en pauvres, fermiers, domaniers et propriétaires.
  • Le pauvre (nous en avons déjà parlé) n’est point, en Bretagne, le rebut de la société : il est aimé, estimé, honoré de tous ; on sait que ses haillons peuvent se changer un jour en vêtements de gloire ; il habite une cabane couverte en genêts ; il n’a qu’un verger ou courtil, dans lequel croît le chanvre dont il s’habille et l’herbe dont se nourrit sa vache, qui partage avec lui son toit ; il mendie devenu vieux, et travaille lorsqu’il est jeune.
  • Le fermier, comme partout ailleurs, laboure les terres de son maître ;
  • le domanier en a l’usufruit, mais non pas la propriété ; les édifices seuls lui appartiennent, et lui peuvent être remboursés par congément. Quelquefois il achète son domaine, qu’il ne croit jamais payer trop cher, si c’est le lieu de sa naissance, et il entre dans la classe des
  • propriétaires, classe peu nombreuse, plus indépendante, et qui forme, dans la chaîne sociale, l’anneau qui lie le paysan au bourgeois.

    Il est triste de songer qu’à une époque où l’on parle tant d’améliorer le sort du peuple, on n’ait encore rien fait dans l’intérêt des classes pauvres de nos campagnes; elles sont peu à craindre, il est vrai, car elles sont chrétiennes, et, tandis qu’ailleurs, le paysan incrédule maudit la terre qu’il travaille et le maître qu’il lui faut payer, l’agriculteur breton, levant les yeux au ciel, et voyant briller l’immortelle aurore, chante ainsi pour se consoler.

    NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. (1846)

    Cette admirable résignation chrétienne, le paysan breton la porte partout au fond de son cœur ; elle se montre dans toutes les circonstances de sa vie. Sa chaumière est-elle la proie des flammes ? il la regarde brûler ; il ne pleure point, il n’éclate point en cris, il ne maudit personne ; il incline la tête, et dit tristement comme Job : « Que la volonté de Dieu soit faite ! » Puis, quand il ne reste plus de sa cabane que les quatre murs, il va mendier de porte en porte, en chantant lui-même son malheur, quelque argent pour la rebâtir. Cette résignation le suit jusqu’au lit de mort ; il quitte sans regret une vie misérable qu’il a prise en patience pour mériter le ciel.



    *************************

  • L'immense majorité des paysans dépendants appartient à la catégorie des "féagers" (de "fief")...usufruitiers de labours, de prés et landes et de droits d'usage dans les forêts, ces tenures étant de petites dimensions (1 à 2 hectares) et éparpillées. Le logis est une masure. Le loyer se paie à la Saint-Michel (29 septembre): 15 jours de salaire d'un ouvrier pour 1.5 hectares. Le féager peut user des communaux. Il doit moudre son grain au moulin du seigneur et cuire son pain au four banal. Le féage est de longue durée, parfois perpétuel. Il est héritable et cessible. Le féager doit, pour survivre, pratiquer une autre activité (pêche, artisanat).
    Le métayer se distingue du fermier soumis au paiement d'un loyer fixe, par le fait qu'il abandonne à son maître une partie de sa récolte ou du croît du cheptel: le quart, le tiers ("quarte ou tierce gerbe") ou la moitié ("mi-fruit") suivant les cas. Le maître supporte une partie des frais d'exploitation (outils, semences, engrais...) de la métairie.
  • Le "domanier" ou "convenancier" qui loue le "fons" au propriétaire ("foncier") et a la propriété momentanée des "superfices" (logis, haies, arbres fruitiers, engrais). Le contrat ("convenant", "koumanant") est conclu pour 6 ou 9 ans reconductibles. Le "foncier" peut congédier son locataire quitte à le dédommager des améliorations apportées aux superfices. A l'origine il devait s'agir de terres incultes à défricher. Les baux étant de courte durée, le seigneur a la possibilité de procéder à des réajustements. Dans la pratique, les congéments sont exceptionnels et les réajustements de charges modérés. Les convenants sont en général plus étendus que les féages.
  • ARGUMENT.(1867)

    La classe des paysans bretons qui nous intéressent spécialement ici, se divise en pauvres, fermiers, domaniers et propriétaires.
  • Le pauvre (nous en avons déjà parlé) n’est point, en Bretagne, le rebut de la société : il est aimé, estimé, honoré de tous ; on sait que ses haillons peuvent se changer un jour en vêtements de gloire ; il habite une cabane couverte en genêts ; il n’a qu’un verger ou courtil, dans lequel croît le chanvre dont il s’habille et l’herbe dont se nourrit sa vache, qui partage avec lui son toit ; il mendie devenu vieux, et travaille lorsqu’il est jeune.
  • Le fermier, comme partout ailleurs, laboure les terres de son maître ;
  • le domanier en a l’usufruit, mais non pas la propriété ; les édifices seuls lui appartiennent, et lui peuvent être remboursés par congément. Quelquefois il achète son domaine, qu’il ne croit jamais payer trop cher, si c’est le lieu de sa naissance, et il entre dans la classe des
  • propriétaires, classe peu nombreuse, plus indépendante, et qui forme, dans la chaîne sociale, l’anneau qui lie le paysan au bourgeois.

    Il est triste de songer qu’à une époque où l’on parle tant d’améliorer le sort du peuple, on n’ait encore si peu fait dans l’intérêt des classes pauvres des campagnes bretonnes; elles sont peu à craindre, il est vrai, car elles sont chrétiennes, et, tandis qu’ailleurs, le paysan incrédule maudit la terre qu’il travaille et le maître qu’il lui faut payer, l’agriculteur breton, levant les yeux au ciel, et voyant briller l’immortelle aurore, chante la touchante complainte que voici.

    NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS. (1867)

    De cette peinture naïve que le paysan a faite de ses misères au dix-septième siècle, et qui est toujours vraie, on ne peut s'empêcher de rapprocher le célèbre tableau qu'a tracé la Bruyère du paysan français, à la même époque: quoique reproduit bien souvent, il a ici sa place marquée:
    "L'on voit ici certains animaux farouches,...qu'ils ont semé".
    Quand le grand moraliste représente ainsi, non sans compassion, cette espèce d'animaux de son pays, comment aurait-il peint ceux du même genre répandus dans les campagnes bretonnes? Et cependant il se fût trompé; là où il n'eût plus vu même des hommes, il y avait des chrétiens, et ils lui eussent offert le type de la plus admirable résignation.
    Le paysan breton porte cette vertu partout; elle se montre dans toutes les circonstances de sa vie. Sa chaumière est-elle la proie des flammes ? il ne pleure point, il n’éclate point en cris, il ne maudit personne ; il incline la tête, et dit tristement comme Job: « Que la volonté de Dieu soit faite!» Puis, quand il ne reste plus de sa cabane que les quatre murs, il va mendier de porte en porte, en chantant parfois lui-même son malheur, quelque argent pour la rebâtir. Cette résignation le suit jusqu’au lit de mort ; il quitte sans regret une vie misérable qu’il a prise en patience pour mériter le ciel.


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    On reconnaît dans ces "valets ou quévaisiers", ces "féagers" et ces "convenanciers" les "pauvres", les "fermiers" et les "domaniers" distingués par La Villemarqué. La mention par ce dernier des "propriétaires", peu nombreux, traduit sans doute une légère amélioration du sort de certains exploitants agricoles bretons entre le 15ème et le 19ème siècle.

    Dans le chant "Ar saboter koad" N° 2, 4ème strophe, le mot "koumanant" (convenant) s'applique à la parcelle de bois concédée au sabotier.






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